Le CABORT-MASSON que j’ai connu

Le CABORT-MASSON que j’ai connu
samedi 6 avril 2002 par Alfred LARGANGE
http://www.jenndoubout.org/article.php3?id_article=93

Lors de mon dernier passage en Martinique, je n’ai pas retrouvé, dans mes "archives" personelles (une accumulation sans rimes ni raisons de devoirs d’écoliers, de cahiers de notes, de pages de magazines, de livres, etc.), la plaquette que Guy CABORT-MASSON m’avait dédicacée en 1986 ou 1987. J’étais alors un tout jeune lycéen qui commençait à s’intéresser à la politique, et j’avais voulu lire Les indépendantistes face à eux-mêmes (1978). Sa fille m’avait procuré l’ouvrage, qui sentait un petit peu le soufre, si je me rappelle le sourcil froncé de ma mère. En dédicace, je crois qu’il m’avait écrit quelque chose comme "Demain, je ne serai plus là, mais tu continueras le combat".

Demain commence aujourd’hui. Il est temps de se demander si, au fil des années qui ont vu s’accumuler dans des caisses poussiéreuses devoirs d’écoliers, notes d’étudiants, rapports et dossiers divers, les rêves d’hier ont un tant soit peu porté fruit. Ou s’il ne sont restés que chimères.

Rendre hommage à une voix intègre

Sans partager ses convictions indépendantistes, je voudrais rendre ici hommage à un homme qui n’a jamais renoncé à son idéal de souveraineté martiniquaise, le faisant vivre au delà des contingences institutionnelles et des turpitudes politiciennes de notre pays. Je suis officier de réserve et je voudrais clamer mon admiration pour un Saint-Cyrien qui a eu le courage sublime de déserter pour refuser l’innacceptable et parce qu’il avait trouvé dans la cause algérienne un écho à ses interrogations martiniquaises face au colonialisme. Aujourd’hui, après le scandale provoqué par un ex-général tortionnaire, cynique et arrogant, de nombreuses consciences éprouvent le besoin de se soulager, de dire enfin leur part de vérité sur ce qu’a été la Guerre d’Algérie. Bien peu, malgré les faciles tentations de l’innocence, pourront dire qu’ils ont su rester purs de toute compromission avec l’innommable.

Un homme de contact et de dialogue

Je n’ai physiquement rencontré Guy CABORT-MASSON qu’en 1990, à Paris, à l’occasion d’une grande manifestation à laquelle je participais. L’ayant reconnu, debout sur le trottoir, pour l’avoir vu une ou deux fois à la télévision, j’ai été le saluer et nous avons discuté quelques minutes. Sa voix éraillée m’avait beaucoup moins frappé alors que l’attention sincère qu’il me portait, le naturel sans distance ni affectation de sa conversation. Ce n’est qu’en 1999, au cours de cette année que j’ai passée en Martinique à travailler sur la Coopération Régionale, que je l’ai revu. Après avoir assisté à un de mes passages à la télévision, il s’était procuré mon petit fascicule, l’avait parcouru et m’avait téléphoné pour me convier à une discussion à bâtons rompus sous le préau de l’AMEP. La Caraïbe, ses problématiques de développement, la place et le rôle que notre pays pourrait s’y choisir si seulement nous le décidions, les dispositifs existants, ceux qu’il faudrait mettre en place sans forcément attendre que les choses viennent de Paris... Ses questions étaient précises mais pas piégeuses, son attention constante mais pas sceptique. J’ai fini par ne même pas m’étonner de ce que cet intellectuel reconnu, analyste de premier plan des réalités martiniquaises, me dise que mes quelques pages l’avaient aidé à mieux mettre en perspective le développement de la Martinique dans son espace caribéen. La capacité d’écoute et l’humilité de Guy CABORT-MASSON était décidément à des lieux du paternalisme dont j’avais testé toutes les nuances auprès des responsables locaux, quand ces derniers daignaient m’accorder une audience.

Un petit côté gascon aussi...

Ce qui m’avait frappé aussi, c’était la jeunesse et la vivacité de son regard, qui me faisait regretter de ne pas avoir connu le jeune homme frondeur et insolent que l’on découvre dans sa savoureuse autobiographie, Pourrir ou martyr un peu (1987) ; le jeune instituteur en chemisette qui fait ses classes en Français et en Créole, aussi pragmatique que Montaigne quand ce dernier écrit "Et que le Gascon y arrive, si le Français n’y peut aller". Il y avait un côté Gascon dans cet homme, du Cyrano, ou du Pardaillan pour citer un autre fin bretteur qu’il appréciait, dans le panache et la fougue qu’il mettait à débattre avec les uns ou les autres, à croiser ainsi les arguments sans jamais manquer de respect à l’adversaire, alors que notre tradition martiniquaise du débat consiste plutôt à rabaisser l’autre en guise d’arguments. Indépendantiste ? A l’heure où beaucoup cherchent à se dégager des engagements passés sans trop se renier, le drapeau dans une main et la sébille dans l’autre, la droiture sans calcul de l’engagement de CABORT-MASSON force le respect. Même si l’on entend Cyrano murmurer, à bout de souffle, que "c’est encore plus beau lorsque c’est inutile".

La plus belle leçon de Maître CABORT-MASSON

Guy CABORT-MASSON était un homme de combat, l’homme d’une cause qu’il a cherchée et formulée au gré de ses engagements successifs mais qu’il avait déjà sans doute choisie lorsque, jeune instituteur, il s’adressait en Créole à ses élèves des Terres Saint-Ville. Son oeuvre la plus durable, celle qui a le plus marqué la Martinique, c’est sans conteste l’AMEP, un établissement novateur qui a contribué au renouvellement des perspectives de l’enseignement scolaire en Martinique, en plus de donner une seconde chance à quelques milliers d’élèves en situation d’échec dans l’école classique.

Son combat et son oeuvre nous apprennent qu’être un homme martiniquais aujourd’hui, un homme total, comme dirait Jacques-Stéphen ALEXIS, c’est se choisir une cause et la défendre envers et contre tout, au grand jour, sans renoncement ni compromission. C’est aussi, "se connaître pour changer", comme il me l’a inscrit en dédicace de son Martinique, comportements et mentalités (1998) Sans doute la plus belle leçon de Maître CABORT-MASSON. Comme je regrette de ne l’avoir jamais vu devant le tableau noir, un bâton de craie à la main !




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