De ma Négritude au XXIème siècle
mardi 22 juillet 2003
http://www.jenndoubout.org/article.php3?id_article=157
Vous me permettrez, pour répondre à votre question, de développer une opinion divergente de celle que vous avez exposée en remettant en cause, me semble-t-il, la légitimité du concept de Négritude à l’orée du XXIème siècle.
Tout d’abord, qu’il s’agisse « d’une doctrine, d’une idéologie, d’une théorie » ou « d’un mouvement littéraire », la Négritude n’est pas, selon moi, une idée à laquelle on peut dire « Bonjour et adieu » comme l’a fait René DEPESTRE en 1989, prétextant, entre autres arguments, qu’elle « s’est affaiblie d’une mauvaise approche méthodologique des recherches anthropologiques et ethniques ».
Toute approche « anthropologique » du phénomène Nègre est selon moi suspecte, puisque cette discipline scientifique s’est développée, à la fin du XIXème siècle, dans des milieux universitaires au service du phénomène colonial qui leur a offert leurs premiers terrains d’études (lire ou relire Discours sur le Colonialisme et Peaux noires Masques Blancs).
La Négritude n’est pas non plus, un « concept dangereux » qui « installe le Nègre dans une spécificité reflétant des conditions socio-économiques » historiquement définies, comme le dit Maryse CONDE, que vous citez. Le phénomène Nègre n’est pas d’essence folklorique, même si nombreux sont ceux qui méritent vos critiques pour avoir privilégié cet aspect dans leurs recherches et leur création. Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse. Le Blues de Sonny n’a pas été crié pour enchanter un soir de mélancolie parisienne au décor de fenêtres battues par la pluie.
Ma Négritude, Madame, n’a pas « la vocation insidieuse de nous imposer l’identification aux victimes qu’étaient nos ancêtres entassées dans la cale des bateaux négriers ». Elle est pourtant, debout en plein soleil, mémoire et identité.
Ma Négritude, Madame, n’a pas de « sonorités ethniques de nature à inspirer la racialisation des rapports entre hommes et femmes de bonne volonté ». Elle est simple constat de différences que je ne suis pas seul à percevoir, au sein de la société dans laquelle j’évolue, et que je serais donc mal inspiré d’oublier.
Ne craignez rien, Madame, ma Négritude, qui se voudrait consensuelle et cordiale, n’est pas de nature à « réveiller les vieux démons dominateurs chez ceux qui seraient tentés de se servir du critère de notre pigmentation pour nous interdire l’accès de la cour des grands » !
Je n’ai que faire, Madame, de cette « Cour des Grands », où les vieux démons dominateurs dont vous craignez le réveil se pavanent toujours. Nous ne sommes pas, Madame, des citoyens incolores, vivant au quotidien dans un Etat de droit. Nos sociétés, ne vous déplaise, sont toujours, après cent-cinquante et quelques années, marquées au quotidien par une racialisation qui vire au racisme le plus brutal ou le plus insidieux. Dans ce contexte délétère, refouler toute perception du racisme ambiant, que ce soit dans l’Hexagone ou en Martinique, serait faire montre d’une aliénation que recherchent les oppresseurs que vous croyez endormis.
Ma Négritude, consensuelle et cordiale, est juste l’expression d’une différence dont j’ai bon droit de demander l’acceptation par tous.
Pour entrer un jour dans la Cour des Grands, ma Négritude, qui est Mémoire, Madame, se parera du souvenir de tout ce que les Nègres (qui n’ont inventé ni la boussole ni la poudre à canon) ont créé de grand et de beau pour enchanter le monde. Je prendrai le Jazz de Louis Armstrong et la géométrie des pyramides, le rire de Langston Hugues et les vers incandescents du Nègre fondamental, les Amazones de Béhanzin et le ciel au dessus des Quilombos.
Je prendrai surtout le Swing, Madame, enfant Nègre turbulent qui n’a que faire de l’ordonnancement de votre chignon.
None of them can stop the Time(1). Ne prenons donc pas "leurs" calendriers pour marquer la fin de notre cheminement. N’ayez crainte, Madame, nous danserons un jour dans votre Cour des Grands. Nous pourrons alors dire qu’un nouveau siècle aura commencé.
(1) "Aucun d’entre eux [ceux de la Cour des Grands] ne peut arrêter le temps" - Bob Marley, Redemption Song
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