Conversation au pipirit d’un siècle neuf

Conversation au pipirit d’un siècle neuf (Suite...)
samedi 24 mai 2003 par loran-kristian Ursulet, Alfred LARGANGE, elmer
http://www.jenndoubout.org/article.php3?id_article=136


ALFRED : On peut parler de "peuple martiniquais", de "nation martiniquaise", on peut se définir et/ou poser comme "indépendantiste" ou "nationaliste"... Une seule question doit nous intéresser face aux exemples de dérives et de dérades qui nous entourent* : A quand la République martiniquaise, et sur quelles valeurs allons-nous la fonder ?

* Pour ceux qui croient que les macoutes sont de pittoresques accidents de l’histoire, avec leurs chapeaux de kòboy et leurs rébannes, rappelez-vous du Sheriff du Marigot, et de l’affaire JALTA.


LKU : Chaben....arété fè moun pè konsa...yo sé jiré an yich Laventure oben Chalono. Many many more kèsyon ka plen zantray mwen. Répiblik, répiblik ! Répiblik pakay san « souveraineté », pa fè moun kwè nenpòt kisa, annou pa soté létap ; épi manniè ou ka pozé poblenm-lan ka mèt an chay kribij nan larèl-lidé mwen. A la jounen jòdi, piès kalté moun pé pa di kè péyi nou paka woulé kontèl répiblik ka woulé. Kivlédi kè kominoté pèp-la ka mannié la « chose publique » kon i pé, kon toupatou oliwon latè éti moun ni Répiblik kon Bondié. Kivlédi osi kè lé modèl gwo poto enstitisyon yo mété ban nou, mi sé sa ki répibliken...zafè « laïcité », zafè « intérêt général », zafè « éducation », zafè « science », mi sé sa lé manman kolonialis mété nan larèl péyi nou, konsidiré sé « Graal » éti tout moun-doubout pou gadé trapé.

Par conséquent, il me semble que nous vivons en Martinique ( département outre-mer français ) de manière fort républicaine, avec pour modèle institutionnel une histoire remontant jusqu’à Sparte, Athènes ou Rome, en passant par un XVIIIe siècle révolutionnairement républico-esclavagiste, et un reste de temps moderne-contemporain extraordinairement républico-colonialo-impérialo-capitaliste....mais toujours occidenté...oxydé par une pratique de la « chose publique » exotique ( du grec exotikos « du dehors, extérieur », en français « qui vient de pays lointains » ). Seulement, la réaction chimique d’oxydation entraîne, pour le corps en question, une perte notable d’électrons, ces particules élémentaires dont il ne saurait se passer pour exister...


ALFRED : Ami... Trois tapes en dos ne font pas prendre l’envol à l’intuition funeste. Qui conjurera le goût amer né du spectacle de ces politiciens déchirant en grande pompe le fruit de l’esprit de leur collègue, un beau matin républicain de visite ministérielle ? Certains préfèrent la chicotte made in Martinique, mais mon échine est rebelle à cette authenticité. Partout le sang est rouge et coule, là où circule celui de Babylone, vert dollar (M16=AK47). Maurice BISHOP R.I.P.

La question serait donc celle des référentiels. Tu expose que les concepts avec lesquels nous jonglons plus ou moins malement sont externes et exotiques. "Laïcité", "Education" et "Intérêt général" ne seraient pour nous que des mots congelés et décongelés et recongelés, en rupture de chaîne de froid...

D’ailleurs le contexte historico-politique d’émergence de ces concepts serait bien suspect ! "La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’a pas été écrite pour les Zoulous !" s’écriait Jules FERRY-TONKIN, alphabétiseur à grande échelle et colonisateur de grand style. Hussards Noirs et Tirailleurs Sénégalais au programme...

Ki nou lé ki nou pa lé, fòk nou palé ! Lè nou ka palé sé an menm nas la nou ka brennen : le français de France, le français français de ROUSSEAU et de CONDORCET. Ne serait-il pas un zatrap de plus pour les pipirits chantant à l’aube de ce siècle que nous voulons nôtre ?

Ki nou pa lé, ki nou pa palé, les idées sont-elles prisonnières du contexte de leur naissance ? Le rêve du jour est-il disqualifié parce qu’il a pris naissance au coeur de la nuit ? Les fruits de l’été doivent-ils couler à cause de l’espoir hivernal des fleurs qui sont leurs mères ?

Ou ka mandé mwen an ki lang mwen ka révé, mwen la ka mandé w kisa ou ka révé !

La République : Tout moun sé moun !

! Creemos en suenos !

The pursuit of hapiness !

Ta w sé ta mwen, ta mwen sé ta w, ki mannyè pou nou séparé sa nou ni ?

Zyé w sé zyé mwen, zyé mwen sé ta w, di mwen kisa ou ka wè, di mwen kisa ou ka révé !

Les mots de mon rêve ont éclos ailleurs, et je te les offre sans excuses. Ami, quels sont les tiens ?


ELMER : En ce qui concerne la Martinique en tant qu’entité géographique et humaine particulière, il me semble que cette question est tout simplement fondamentale et nous fait entrer sur un terrain "dangereux" : celui qui peut mener les peuples à disposer d’eux-mêmes...

Quels sont les outils, les concepts, les couleurs et modes de vie qui pourraient nous permettre de nous donner une image ou une construction imaginaire de notre île ?

Tous ces éléments qui nous font glisser en balançoire du concret à l’abstrait (et inversement) : us et coutumes, arts de vivre et d’expression, constructions mentales et physiques collectives nous servent à nous repérer plus qu’à nous indiquer là où nous devons aller...

Peut-être vaut-il mieux se demander quelle voie choisir qui nous permettent de nous reconnaître encore et de faire le lien entre l’histoire vécue et celle à construire...

Il y a synthèse à réaliser. D’une part, le marteau de la régénération spirituelle qui a conduit progressivement la France sur le terrain de la construction de théories politiques s’adressant à l’universel (même limité par l’eurocentrisme) dont nous sommes imprégnés. D’autre part, la part honteuse de notre mémoire collective : celle qui nous relie par la parole chantée ou clamée, celle qui fait fi du chef de famille "européen" pour célébrer la mère et la tante comme garante de la vie et de la continuité.

Je pensais encore à mon frère de 23 ans, qui malgré ses efforts n’arrive toujours pas à se construire sa place dans la société euro-française, et qui en attendant de se défaire de sa schizophrénie ne trouve comme ultime recours sa MERE.

Nous ne pouvons continuer d’imaginer notre île et ce qui nous relie à elle en utilisant des concepts que l’Europe s’est acharné à vider de son contenu dans sa tentative avortée d’auto-destruction ( : deuxième guerre mondiale). La preuve par le fait que c’est en partie sur cette perte de crédibilité qu’elle a perdu l’essentiel de son empire colonial.

Que nous reste-t-il ?

Notre culture, notre langue et notre mémoire ! ! !

La question que vous abordez ne peut s’élucider que dans la création, autrement dit dans le basculement d’une construction imaginaire dans la réalité qui s’imposerait aussi bien à nous qu’aux enfants de nos maîtres...

Je dois vous dire (je vais en choquer...) qu’il ne me gêneraît nullement de vivre en Martinique républicaine avec avec à sa tête un gouvernement... DE FEMMES ! ! !

Sans idéaliser, porter aux nues une image de la femme antillaise (qui n’existe pas plus que l’homme antillais...), cette image me paraît plus naturelle et plus rassurante.

Mis à part cette tentative de dérive sexiste (oh, on est toujours potes, les gars ! ! !), il y aeffectivement plein de pistes à essayer, mais ma petite expérience de vie en métropole me fait dire qu’il y a une bonne somme d’expériences sur lesquels il faudrait tirer un trait pour éviter de réserver le pouvoir aux plus machos et phallocrates d’entre nous...


ALFRED "En ce qui concerne la Martinique en tant qu’entité géographique et humaine particulière, il me semble que cette question est tout simplement fondamentale et nous fait entrer sur un terrain "dangereux" : celui qui peut mener les peuples à disposer d’eux-mêmes..."

Le fameux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ! Bel pasaj ! Une sacrée dynamite dont la mèche fut allumée, je crois par le président américain Woodrow WILSON (le même qui fit occuper Haïti, trop turbulente pour les intérêts US, en 1915). Dynamite pour exploser et démanteler les empires européens et asiatiques (Autriche-Hongrie et empire Ottoman), afin que les petits morceaux de nation retombent dans l’escarcelle du grand capital, isolées et plus malléables. Là où ce "droit des peuples" est historiquement une escroquerie, c’est qu’il a été toujours constaté qu’il s’est agi en fait d’un droit des élites "nationales" à disposer de leurs peuples.

Les bourgeoisies "nationalistes" du Tiers-Monde ont été historiquement aux avant gardes des mouvements de décolonisation , sans jamais résoudre le problème fondamental de la COLONIALITE.

La grande supercherie des indépendances des années 60 a été que les relations coloniales d’exploitation économique, de stratification sociale et de domination culturelle (composants non-institutionnels de la situation coloniale) ont été simplement reprises en main aux élites nationalistes, s’arrogeant la légitimité de diriger les nouveaux Etats-nations du Tiers Monde.

Résultat : Fin de la colonisation (institutionnelle), mais pas du tout fin de la colonialité. Au lendemain du Grand Soir, le lumpen proletariat misérablement tropical comtinue à prendre son fer (Bondyé bon), mais il a un drapeau, un hymne, voire même, consolation cathodique pour opiomanes footbalistiques, une équipe pour la Coupe du Monde...

Compradores s’ils sont à la sauce capitalistes, nomenklatura à la sauce kominis, ces élites nationales, dont on voit certains prémisses pour la Martinique ("Drapo a sé ta nou, sé pa ta w !"), ont scellé l’échec des rêves de libération du monde colonisé, et c’est sur ce point que je veux vous interroger : Le concept de République martiniquaise est en quelque sorte celui d’une Martinique libérée des schémas de domination hérités de son passé colonial : féodalisme et clientélisme politique, népotisme, racisme insidieux...

Il y a effectivement une synthèse à réaliser entre les références politiques et philosophiques avec lesquelles nous appréhendons nos réalités et formulons nos projets, et les réalités et schémas mentaux issus de notres héritage historique. C’est en cela que le concept de République peut servir de point d’ancrage pour cette construction.

La proposition d’un gouvernement féminin sonne comme une sorte d’hommage à nos séculaires "poto mitans", cela dit, les soi-disant "valeurs féminines" d’empathie, de recherche du consensus, etc. sont solubles dans le pouvoir !* Elles sont selon moi issues de générations de domination masculine face à laquelle la moitié féminine de l’humanité a formulé, testé, raffiné et transmis des stratégies d’évitement du pouvoir machiste (Cf. le concept de marronage élaboré dans le contexte colonial).

* Voir un exemple proche de pouvoir féminin qui dérive vers l’autocratie.

En fait, la trilogie machisme-impérialisme-colonialisme n’est pas directement liée à la nature maculine du pouvoir politique, mais est inhérente aux phénomènes de pouvoir. L’objectif de la République martiniquaise sera de gérer les phénomènes de pouvoir pour éviter les dérives les plus dommageables. En d’autres termes, l’objectif est la démocratie.


To be continued...

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