Cooperation Régionale - Partie V

V - PENSER UNE STRUCTURE DEDIEE A LA COOPERATION REGIONALE

La nécessité de doter la Coopération Régionale martiniquaise d'un outil opérationnel s'impose pour assurer la continuité des actions de terrain et le développement de partenariats de long terme avec les pays de la Caraïbe. Il est bien entendu que la définition des orientations stratégiques et le choix des actions entreprises relèvent de choix politiques, qui seront effectués par les institutions dont dépendra cette structure. Un certain nombre de points peuvent cependant être dégagés dès à présent.

V.1 - Finalités d'une structure dédiée à la coopération

La mise en place d'une agence martiniquaise de coopération constituera nécessairement un processus pragmatique et exploratoire, qui permettra au fur et à mesure de cerner les fonctionnalités les plus nécessaires, de constituer les réseaux et de détecter les ressources humaines nécessaires à son développement. Cette structure sera également évolutive, en fonction des priorités qui lui seront fixées par ses instances de référence, des demandes qui lui seront adressées, et des résultats d'une évaluation permanente de son fonctionnement et de sa stratégie. Les partenariats qu'elle nouera avec diverses institutions tant en Martinique que dans la Caraïbe, dans l'Hexagone et en Europe auront également un impact sur cette évolution.

Un rôle d'encadrement, de facilitation et d'information

Il apparaît possible de désigner les premières fonctionnalités de cette Agence de Coopération :

  • Encadrement des missions de Coopération

    L'Agence constituera un outil de terrain dédié à l'organisation logistique, à l'encadrement et au suivi d'actions de coopération, de prospection commerciale et de transferts de technologies, reposant sur des partenariats entre structures martiniquaises et caribéennes. Elle assurera l'accueil et éventuellement l'hébergement des Coopérants et des partenaires, constituant leur principale référence tout au long de leurs missions dans la Caraïbe et leur apportant un soutien constant.

    Référence des partenaires locaux des actions de coopération, l'Agence assurera avec eux et avec leurs homologues martiniquais la préparation, le suivi et l'évaluation des actions entreprises.

  • Suivi et documentation de la Coopération Régionale martiniquaise

    La constitution d'un centre de ressources documentaires, la publication régulière de rapports, d'analyses thématiques, de reportages, et la valorisation des travaux de recherche réalisés dans le cadre de son fonctionnement, ou qui viendraient en sa possession conduiront l'Agence à constituer une mémoire de la coopération et des échanges caribéens. Celle-ci pourra faire l'objet d'un rapport périodique présentant un tableau aussi exhaustif que possible des actions détectées.

    Un travail de production (études de marché) et de diffusion des informations économiques est également envisageable. Ces actions devront être menées en partenariat étroit avec les centres de formation et de recherche et les institutions consulaires.

  • Facilitation logistique de la Coopération Décentralisée martiniquaise

    L'Agence doit donc être perçue comme un outil privilégié de la Coopération Régionale des collectivités locales martiniquaises, qu'il s'agisse des assemblées locales ou des communes. De ce point de vue, la structure offrira un cadre privilégié pour le développement à moindres frais de la coopération opérationnelle : visites d'équipes techniques, échanges d'élèves, d'artistes ou de sportifs

    Dans la mesure de ses possibilités, l'Agence assurera donc, dans les pays où elle sera présente, des prestations de préparation des visites des acteurs martiniquais de la Coopération : réservations, prises de contacts…

  • Liaison avec les réseaux français de coopération dans la Caraïbe

    Des rapports et analyses successifs (Rapport CRUSOL au CES en 1991, Mission de Coopération et d'Action Culturelle Française en Haïti en 1998) mettent l'accent sur les carences en terme de communication et de coordination entre le réseau diplomatique français et les institutions des Départements Français des Amériques. Des initiatives récentes, comme les visites programmées des Ambassadeurs en poste dans la Caraïbe, marquent la pleine prise de conscience de cet état de fait.

    Au delà des problématiques politiques déjà évoquées sur la question de la coexistence, difficile à envisager pour certains, des logiques européenne et caribéenne dans ce cadre, il apparaît aux observateurs avertis que l'ensemble des partenaires d'un tel processus bénéficieront d'une meilleure circulation des informations entre le réseau diplomatique et consulaire français (ambassades, postes d'expansion économique, chambres de commerces mixtes…) et les institutions et organisations civiles martiniquaises. Meilleure connaissance des opportunités économiques, facilitations des échanges culturels et optimisation des opérations de solidarité peuvent être attendus.

    En conséquent, il apparaît normal que la présence de coopérants martiniquais dans les institutions diplomatiques françaises, préconisée par le Rapport CRUSOL dès 1991, soit envisagée comme un des axes de développement de l'Agence de Coopération.

V.2 - Un projet reposant sur les jeunes Martiniquais

Le développement d'actions de coopération significatives dans l'espace caribéen suppose la participation de personnes compétentes, maîtrisant des langues comme l'anglais, l'espagnol et le créole, dynamiques, réactives, dotées de bonnes capacités d'adaptation et d'une grande disponibilité, pour des missions s'inscrivant dans la durée. Ces critères conduisent à penser, sans qu'il faille faire de l'âge un facteur discriminant, que les Coopérants seront pour l'essentiel de jeunes professionnels attirés par une expérience internationale stimulante.

Le terme de "Coopérants", employé jusqu'ici, décrit une réalité correspondant dans une certaine mesure aux formes internationales du Service National (CSN). Les évolutions futures de ce dispositif doivent être observées avec attention car elle peuvent être envisagées comme cadre de référence pour le développement de dispositifs dans le cadre de la Coopération martiniquaise.

Objectif : renouvellement constant des équipes

Le caractère novateur et la forte attractivité des activités proposées aux Coopérants martiniquais sont de nature à assurer un nombre important de candidatures. Le fait d'être sélectionné et intégré à la structure ne doit pas être perçu comme un privilège réservé à quelques heureux bénéficiaires, qui en tireraient des bénéfices durables. En un mot, il ne s'agit pas de créer une nouvelle "fonction publique", mais bien au contraire de permettre au maximum de jeunes talents martiniquais d'accéder, pour une durée significative, à une expérience de premier ordre.

Un des objectifs du fonctionnement de l'Agence doit donc être le renouvellement constant de ses effectifs, à tous les niveaux hiérarchiques, pour en faire une "pépinière" offrant une expérience à un nombre aussi grand que possible de personnes.

V.2.a - L'expérience caribéenne : une perpective séduisante

La conscience de notre identité caribéenne est une réalité de plus en plus affirmée au sein de la population martiniquaise, et plus particulièrement de la jeunesse qui vit sans complexes la participation de la Martinique à des solidarités diverses et maîtrise de façon pragmatique les paramètres et les manifestations de la mondialisation. Une expérience de travail exigeante, au contact des réalités de terrain et des cultures caribéennes, est de nature à susciter l'enthousiasme de la jeunesse martiniquaise et à provoquer un afflux de candidatures de valeur.

De plus, institutions et entreprises reconnaissent et apprécient ce que de telles expériences peuvent apporter à de jeunes professionnels : maturité, sens pratique, esprit d’initiative, créativité, valeurs d’engagement et de solidarité. A travers l’exercice de responsabilités partagées, les coopérants auront la possibilité de s’affirmer comme capables de prendre en charge le défi du développement de la Martinique.

V.2.b - Un recrutement élitiste pour des objectifs ambitieux

La proposition du Rapport FRAGONARD relative au "Contrat Initiative Jeune" apparaît aux yeux de certains décideurs comme un outil possible de développement de la Coopération Régionale. Il semble cependant nécessaire d'y apporter un regard extrêmement critique avant d'exposer plus avant les conditions de recrutement des coopérants et de remettre en cause quelques idées reçues sur la mobilité régionale.

Rapport FRAGONARD : Une proposition qui manque d'ambition

En proposant que, dans le cadre d'un "Contrat Initiative Jeunes", des Martiniquais de moins de trente ans se voient encouragés, grâce à une subvention de 2000 Francs par mois, à s'installer dans la Caraïbe, le Rapport FRAGONARD entend présenter un dispositif à même de favoriser, entre autres, "la prospection ou la prise d'un emploi hors du département" et "la prospection de marchés, en particulier dans la zone géographique avoisinante". Un rapide calcul basé sur un effectif de 10 000 bénéficiaires l'amène à estimer le coût annuel d'une telle mesure à 360 Millions de Francs.

Le fait que l'auteur du rapport n'ait pas intégré à ce calcul le coût probable des structures locales et internationales à mettre en place pour assurer le suivi d'un tel dispositif, ou qu'il ait largement sous-estimé les effets d'aubaines inévitables dans un contexte où la circulation des personnes est à la fois aisée et difficile à contrôler (à moins d'interdire l'entrée du territoire martiniquais aux bénéficiaires pendant la durée de leur contrat !) ne sont pas les problèmes les plus importants d'une telle proposition. Le risque majeur d'un tel dispositif, au vu des résultats de l'application du RMI tant en Hexagone que dans l'Outre-Mer (insuffisance notoire du suivi et du volet "insertion"), est qu'il sombre dans un fiasco dû au manque d'ambition du dispositif et aux stratégies informelles des bénéficiaires.

Un tel dispositif est voué à l'échec dans la mesure où, du fait de la modicité des revenus proposés, les jeunes Martiniquais(es) les plus capables (diplômés des grandes écoles, troisièmes cycles universitaires…) arbitreront en faveur de perspectives professionnelles économiquement plus motivantes : recrutement par des entreprises locales ou multinationales … ou intégration à la fonction publique !

Mobiliser les meilleurs autour d'un objectif ambitieux

Si l'on considère l'impact extrêmement positif d'un dispositif comme celui des Coopérants du Service National (CSN) en terme de constitution de réseaux internationaux pour les entreprises françaises, ou de formation des cadres qui ont pu accéder à cette voie, il faut être conscient que les conditions proposées (indemnités confortables, exercice de responsabilités dans des structures existantes, possibilité d'embauche à terme…) ont su drainer les meilleurs éléments de la jeunesse française pour en assurer le succès. C'est ce type de dynamique qu'il importe de mettre en œuvre si l'on entend que les plus capables des jeunes Martiniquais(es) contribuent au développement de la Coopération Régionale.

Le développement progressif d'un réseau caribéen doit être conçu comme un projet ambitieux, dont le succès reposera sur l'excellence des ressources humaines martiniquaises mobilisées. Un niveau de rémunération motivant (de 150% à 200% du SMIC) est le corollaire d'une telle politique.

Lutter contre la fuite des cerveaux

Enfin, il convient de faire un sort au récent concept de "mobilité régionale" qui prétend que la Martinique ne créant pas suffisamment d'emplois, ses jeunes diplômés doivent être prêts à s'expatrier dans la Caraïbe, où leur compétence leur permettra de s'insérer à un niveau professionnel compensant la différence des niveaux de vie. Tous les pays de la Caraïbe, même les plus pauvres, produisent des élites de niveau mondial, dans tous les domaines d'activité. Le fait est que les conditions économiques locales, en particulier l'inertie des économies et des milieux d'affaires, les conduisent à choisir, faute de perspectives, à s'expatrier, pour le plus grand bénéfice des firmes multinationales qui mettent en place des junior training programs pour les attirer. Il ne saurait être question d'exporter des informaticiens martiniquais en Haïti pour y remplacer les informaticiens haïtiens installés dans la Silicon Valley.

L'objectif d'une politique de Coopération Régionale martiniquaise doit être de dynamiser le tissu économique local par l'insertion d'éléments dynamiques, dotés d'une expérience enrichissante et de réseaux caribéens qu'ils mettront à profit pour le développement des entreprises dans lesquelles ils s'intégreront, ou qu'ils seront amenés à créer un jour. L'insertion professionnelle ultime des coopérants martiniquais doit être envisagée en priorité en Martinique.

V.3 - Statut et perspectives de financement

Les perspectives de financement d'une Agence de Coopération Martiniquaise dépendent de la forme juridique retenue pour une telle structure, et des institutions qui s'engageront dans son développement.

V.3.a - Statut de l'Agence et de son personnel

Dans un premier temps, la forme d'une association à but non lucratif (de type Loi 1901) semble la plus appropriée pour permettre une certaine adaptabilité à l'évolution des missions et des terrains d'intervention, avant que la forme finale de la structure ne soit déterminée.

A terme, cependant, la forme d'un établissement public semble le mieux convenir aux objectifs de pérennisation et de crédibilisation de la structure.

Personnel : un statut de droit privé

En ce qui concerne le statut du personnel de l'Agence, deux facteurs, le souci de maîtrise des effectifs de la Fonction Publique Territoriale et l'objectif de rotation des ressources humaines, conduisent à privilégier pour l'ensemble des postes des contrats de droit privé, à durée déterminée. Tandis que les Coopérants seront recrutés pour la durée de leur mission (de 6 à 18 mois), les Coordonnateurs le seront pour une durée que l'on peut fixer a priori à 3 ans. En termes de recrutement, une place pourra être faite aux fonctionnaires des administrations centrales ou des collectivités locales en situation de disponibilité, selon des modalités spécifiques.

Concernant le budget de l'Agence, trois sources de financement peuvent être envisagées : subventions publiques, dispositifs d'aides aux entreprises et commercialisation de produits d'information.

V.3.b - Subventions publiques

Les activités envisagées par l'Agence correspondent à des orientations politiques qui font l'objet d'un large consensus et sont proclamées prioritaires tant par les collectivités locales (Conseil Général, Conseil Régional) que par le gouvernement (Secrétariats d'Etat à la Coopération et à l'Outre-Mer) et par l'Union européenne (POSEIDOM, …). Les perspectives de financement par ces trois niveaux institutionnels sont à envisager avec optimisme, sous réserve de leur adhésion à un projet cohérent et rigoureux.

Les frais relatifs au fonctionnement de la structure (loyers, équipement, transport, télécommunication…) et à sa coordination (salaires des cadres) relèvent directement, dans cette logique, de financements publics.

En ce qui concerne l'indemnisation des Coopérants, plusieurs logiques vont a priori cohabiter. Pour les filières "Soutien aux institutions publiques" et "Droits Humains et Développement Social", correspondant à des orientations définies par les institutions, les financements publics semblent à privilégier également, dans un cadre correspondant à l'indemnisation des Coopérants du Service National. Les structures martiniquaises susceptibles de devenir partenaires de ces actions, qui sont dans leur grande majorité des associations à but non lucratif, reposant de plus sur le bénévolat des membres, sont généralement peu susceptibles de prendre à leur charge de tels frais supplémentaires. Il est d'ailleurs avéré qu'elles ont recours pour leur propre fonctionnement à la mobilisation des lignes budgétaires de l'Etat et des collectivités locales correspondant à leur domaine d'intervention.

Pour la filière "Prospection Commerciale et Transferts Technologiques", plusieurs logiques sont appelées à cohabiter du fait de la diversité prévisible des missions des Coopérants, tant du point de vue du cadre (institutions ou entreprises) que de leur finalité et de leur durée. En ce qui concerne la Coopération entre entreprises, la prise en charge du salaire des Coopérants doit être envisagée comme relevant au moins pour partie des entreprises partenaires, aussi bien en Martinique que dans la Caraïbe. Il s'agit là tant de limiter les effets d'aubaine que de placer dès le départ l'action de coopération entre les entreprises dans une logique économique favorable à l'insertion professionnelle ultérieure du Coopérant. Dans cette optique, et dans un but de facilitation, il peut être envisagé que l'Agence se limite à prendre en charge le logement et la couverture sociale des Coopérants pour assurer un certain degré de sérénité aux missions, dans leur phase initiale au moins.

V.3.c - Dispositifs d'aide aux entreprises

Un ensemble de dispositifs, alimentés par des lignes budgétaires des collectivités locales ou des administrations centrales, sont mis à la disposition des entreprises désireuses d'entreprendre des activités d'exportation, d'investir à l'international, ou tout simplement de recourir aux services de consultants spécialisés (Aides Régionales au Conseil). L'Agence de Coopération pourrait faciliter l'accès des entreprises à ces ressources financières, dans le cadre de missions confiées à des Coopérants. Il pourrait s'agir ainsi d'amorcer l'insertion professionnelle de ces Coopérants, soient qu'ils constituent ainsi leur propre clientèle, soit qu'ils soient en fin de compte recrutés par l'entreprise au développement de laquelle ils auront travaillé.

V.3.d - Diffusion de produits d'information

Les impératifs de constitution et d'animation d'un réseau caribéen, de même que les finalités pédagogiques de la Coopération Solidaire, impliquent une activité éditoriale régulière pour l'Agence : publication de rapports, d'analyses, de reportages sur les projets entrepris et sur les réalités de terrain.

En plus d'un bulletin de liaison entre ses divers partenaires, il est naturellement envisageable que l'Agence commercialise également une revue périodique, destinée au grand public et consacrée aux réalités économiques, culturelles et sociales de la Caraïbe. Les revenus tirés de la vente de produits d'information apparaissent a priori comme marginaux dans le budget de fonctionnement de l'Agence.

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