Cooperation Régionale - Partie III

III - LA COOPERATION MARTINIQUAISE : REALITES ET ENJEUX

Le terme de Coopération Régionale a connu récemment une certaine vulgarisation, et s'intègre aujourd'hui dans le discours de tous les secteurs du spectre politique martiniquais. L'ouverture récente des médias (télévision avec l'émission "26 Minutes des Caraïbes", presse hebdomadaire) sur l'actualité de la Caraïbe, de même que le succès de manifestations comme les "36 heures pour la Caraïbe", organisées par la Ville du Lamentin en Juillet 1997, ont contribué à une prise de conscience certaine de la part de la population. Il est indéniable que la perception des perspectives concrètes d'une politique de Coopération Régionale réclame des efforts de communication et de pédagogie. Il est également permis de penser qu'une politique volontariste, axée sur des réalisations concrètes et correctement médiatisée, constitue la meilleure des solutions.

III.1 - Etat des lieux

A l'heure actuelle, la plupart des actions de Coopération Régionale de la Martinique sont financées par des institutions comme le Conseil Général, le Conseil Général ou le Fonds Interministériel à la Coopération, et plus rarement par des fonds européens comme le REGIS II. Les initiateurs de telles actions sont soit les collectivités locales, soit les services déconcentrés de l'Etat, soit encore des organisations de la société civile ou des institutions de formation. Une analyse des actions entreprises se révèle ardue du fait de la dispersion des sources d'information, qui met en avant la nécessité de constituer une mémoire de la Coopération Régionale, à même de contribuer à une optimisation de cet axe de développement stratégique.

III.1.a - Assistance ou coopération : la nécessité de clarifier les termes

Il ressort de l'analyse des actions présentées comme relevant de la Coopération Régionale qu'elles sont pour l'essentiel motivées par la solidarité avec les autres pays du Bassin Caribéen, aux premiers rangs desquels on trouve Haïti, la République Dominicaine et Cuba. Le contexte et la nature des actions, pour lesquelles la contrepartie reçue par la Martinique est généralement significativement inférieure à la valeur des ressources mobilisées, doit conduire à une clarification des termes : il paraît plus opportun de parler d'assistance dans la majorité des cas, qu'il s'agisse de répondre à des situations d'urgence (catastrophes naturelles) ou de s'inscrire dans un effort visant à améliorer une situation de détresse chronique. Motivées par un véritable sentiment de solidarité caribéenne, ces actions doivent néammoins être évaluées de façon critique.

"[…] compte tenu de la modicité des moyens dont dispose chaque collectivité, du caractère généralement bilatéral des opérations, de l'absence de coordination systématique au niveau des collectivités, ces efforts ne peuvent avoir qu'un impact limité et ne correspondent pas à une utilisation optimale des ressources disponibles. De plus leur multiplicité laisse aux partenaires concernés l'impression d'un foisonnement qui manque de cohérence et d'objectif précis. Elle crée la confusion dans leur esprit quant à l'identification des principaux interlocuteurs de la coopération.

      A cet égard, on ne doit pas minimiser le risque d'agacement du côté des partenaires caraïbéens, que comporte la multiplication des visites et des missions si celles-ci ne donnent pas lieu à un suivi, des réalisations concrètes, ou encore si elles ne débouchent que sur des opérations d'intérêt limité."

      Rapport présenté par M. Jean CRUSOL

      "La coopération entre les Etats ACP et les territoires et départements d'outre-mer dans la zone Caraïbe"

      Conseil Economique et Social - 1991

III.1.b - Santé et Formation : les domaines d'excellence

Dans l'ensemble, on peut dire que la qualité de ses infrastructures de santé et le niveau de compétence de son personnel font que la Martinique dispose dans ce domaine d'avantages qui devraient lui permettre de contribuer au développement du secteur de la santé dans la Caraïbe. De même, le secteur de la formation en Martinique, tant au niveau scolaire que supérieur, intègre de plus en plus les réalités de l'environnement régional dans la définition et le contenu des activités pédagogiques. Il est indéniable que la Martinique et la Guadeloupe ont vocation, notamment grâce à l'Université des Antilles et de la Guyane, à devenir des pôles caribéens dans certains domaines de la connaissance.

Assistance sanitaire et formation médicale

Le domaine de la santé est incontestablement le plus actif, avec une palette d'actions : envois de médicaments et de matériel médical organisés avec plus ou moins de bonheur par des associations caritatives, prise en charge de malades, actions de formation (sages-femmes haïtiennes, étudiants de la Faculté de Médecine de l'UWI…) S'inscrivant dans la durée, le travail de "Médecins du Monde Antilles" auprès des communautés d'ouvriers agricoles haïtiens de la localité de Barahona (République Dominicaine) mérite d'être souligné pour la rigueur avec laquelle les partenariats ont été développés. En plus du refus d'une assistance déresponsabilisante (les prestations médicales sont payantes), l'objectif du projet, qui assume sa dimension d'assistance, est de contribuer à ce que les partenaires locaux se structurent comme des interlocuteurs réels des autorités dominicaines, et accèdent ainsi à une certaine autonomie.

Autre exemple, le partenariat entre l'Hôpital du Lamentin et celui de Santiago de Cuba, qui prévoit des formations croisées au diagnostics d'affections sur lesquelles chaque institution a développé une réelle expertise, représente pour sa part un effort concret de valorisation des ressources de chacun des partenaires, conforme au schéma souhaitable pour le développement d'une coopération authentique. On pourrait encore signaler, à la fin des années 1980, les accords de partenariat entre le Conseil Régional et la commune de Carrefour (Haïti), qui ont permis la construction du centre de santé communautaire de Taillefer, en milieu rural. Conçu par le cabinet GENESICS, et dès le départ intégré à son tissu économique et social, ce centre continue à fonctionner malgré la mise en sommeil des partenariats qui lui avaient donné naissance, et constitue un exemple de projet de développement durable et de coopération effective.

Education et formation : l'ouverture caribéenne comme vocation

Le domaine de l'éducation apparaît comme le deuxième pôle d'"hyperactivité" de la coopération martiniquaise, avec des initiatives qui concernent tous les degrés d'enseignement et aussi bien la formation en elle-même que la gestion des institutions. Voyages d'études, échanges d'élèves et stages en entreprises se développent régulièrement, de même que, de manière plus récente, les actions de "mobilité régionale" à finalité de formation ou d'expérience professionnelle.

Trois actions doivent être distinguées pour leur qualité et leur exemplarité. La première est l'assistance portée par le service informatique du Rectorat de la Martinique, qui a contribué, sur demande de la Mission de Coopération Française de Port-au-Prince, à l'informatisation de la gestion du Baccalauréat par le Ministère de l'Education Nationale d'Haïti. Il s'agit d'une opération de transfert de technologie qui a grandement bénéficié de la proximité géographique et surtout culturelle entre les deux pays. Toujours en Haïti et dans le domaine du transfert de compétences, l'action de l'association Solidarité Laïque qui apporte son soutien à la Direction Départementale de l'Education Nationale autour de la ville de Jérémie (Département de la Grande Anse), doit être soulignée par l'ampleur du travail de rationalisation et de soutien pédagogique entreprise, et qui repose sur le dévouement des volontaires actifs sur le terrain.

Enfin, l'Université Antilles-Guyane, lieu d'échanges caribéens de longue date, donne une nouvelle dimension à cette vocation, à la fois par ses actions de soutien à l'Ecole Normale Supérieure de Port-au-Prince, et par l'organisation annuelle de l'Université de Juillet du CRPLC (Centre de Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe). Cette manifestation, qui rassemble des chercheurs et étudiants de toute la Caraïbe pour permettre la confrontation de leurs travaux de recherche, est également remarquable en ce qu'elle favorise l'établissement de réseaux intellectuels et de liens d'amitié durables.

III.2 - La coopération des collectivités locales

III.2.a - Un profond désir de Caraïbe

Les collectivités locales de Martinique entendent se positionner depuis plusieurs années comme de véritables partenaires de leurs homologues caribéennes, à travers des actions de jumelages ou des protocoles de coopération opérationnelle. Dans le premier cas on peut citer, sans nul souci d'exhaustivité, le jumelage de la Commune de Grand'Rivière avec Roseau, capitale de la Dominique ou celui de la Ville du Lamentin avec Santiago de Cuba.

En termes d'action opérationnelle, on peut encore citer les accords de coopération entre le Conseil Régional et la municipalité de Carrefour (Haïti) de 1987 à 1990, qui incluaient le financement d'infrastructures en échange de formations aux métiers de l'artisanat, et ont connu une éclipse avec les troubles politiques de ce pays. Les liens entre la Ville de Fort-de-France et la municipalité de Plaza de la Revolucion (La Havane, Cuba) portent pour leur part sur le développement conjoint de solutions en matière de réhabilitation et d'amélioration de l'environnement urbain.

L'ouverture des collectivités locales sur la Caraïbe est affichée comme un axe prioritaire de développement, et revendiquée par les responsables issus de l'ensemble du spectre politique comme une affirmation de l'identité caribéenne de leurs communautés et de la Martinique toute entière. Si la prise en compte de la Coopération Régionale doit encore se structurer en termes de définition des objectifs stratégiques et d'articulation opérationnelle, elle est par contre pleinement intégrée au débat politique martiniquais, et se manifeste notamment avec les débats sur la Coopération Décentralisée et la question du statut et des compétences internationales des collectivités.

III.2.b - Une nouvelle donne avec la Coopération Décentralisée

      "Au sens français, il y a coopération décentralisée lorsqu’une (ou plusieurs) collectivité locale française développe des relations avec une (ou plusieurs) collectivité locale étrangère : il peut s’agir aussi bien de l’établissement de relations d’amitié ou de jumelage avec des collectivités territoriales étrangères, d’actions de promotion à l’étranger, d’aide au développement de collectivités dans certains pays, d’assistance technique, d’action humanitaire, de gestion commune de biens de services mais aussi de coopération transfrontalière et de coopération interrégionale.

      Cette définition est inscrite dans la loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République : cette capacité reconnue officiellement aux collectivités locales inscrit désormais leur action en matière de coopération dans un cadre juridique, administratif et budgétaire précis."

      Source : www.resacoop.org - Site Internet de Cités Unies

L'organisation d'un colloque sur le thème de la Coopération Décentralisée dans la Caraïbe à Port-au-Prince, les 8, 9 et 10 Décembre 1998, témoigne de l'intérêt primordial accordé par le gouvernement français à ce concept relativement nouveau, appelé selon ses promoteurs parisiens à renouveler la politique française en direction des pays du Tiers Monde. Le fait que la Caraïbe ne constitue pas, en une période de réduction des ressources diplomatiques françaises, un enjeu économique et géopolitique au même titre que de l'Afrique, l'Amérique du Sud ou surtout l'Europe Centrale et Orientale, explique que la participation des représentants de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane à ce colloque ait été vivement souhaitée et anticipée par ses organisateurs.

En souhaitant voir les Départements des Amériques prendre une part plus active aux politiques d'aide au développement françaises dans la région, le gouvernement manifeste qu'il a clairement conscience de leurs atouts spécifiques : proximité géographique, connivence culturelle et linguistique avec la créolophonie, similitude des problématiques de développement comme l'urbanisme ou la gestion des aléas climatiques, existence de diasporas caribéennes sur leur territoires (notamment les communautés haïtiennes). La volonté de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane de jouer un rôle actif dans les évolutions de leur environnement géographique immédiat constitue un élément supplémentaire qui, bien intégré par les observateurs parisiens, les conduit à voir dans les D.F.A. des relais potentiels de la politique de coopération française.

      "[Les collectivités locales] peuvent aider à l'élaboration et à la réalisation de projets de développement intégrés (micro-projets, création d'entreprises, etc.). Elles ajoutent à la verticalité de l'action étatique, l'horizontalité des pratiques démocratiques civiles en renforçant le rôle des acteurs de terrain et en développant des relations directes de société civile à société civile. Elles renforcent aussi la transparence de l'utilisation des fonds publics et leur contrôle par les populations. Par là, elles contribuent profondément à la transmission des pratiques démocratiques nécessaires pour la consolidation des Etats de droit dans les pays concernés. "

      Sami Naïr - Rapport sur la Politique de Co-Développement liée aux Flux Migratoires - 1998

III.3 - Problématiques du cadre politique et réglementaire

Si la Coopération Décentralisée constitue une des innovations les plus marquantes de la décentralisation de 1982, en ouvrant aux collectivités locales des perspectives d'action internationales allant au delà du simple jumelage entre municipalités, les limites de ce nouveau champ d'action sont nettement ressenties par les Départements Français des Amériques.

III.3.a - Un contexte réglementaire perçu localement comme inadapté

Des dispositions originelles insuffisantes

Il apparaît à l'analyse que les réglementations édictées par l'article 65 de la loi du 2 Mars 1982 l'ont été en premier lieu avec à l'esprit les collectivités locales de l'Hexagone. La preuve en est que ce dispositif n'envisage que la coopération transfrontalière, cadre pertinent pour les collectivités territoriales de l'Hexagone ou pour la Guyane, mais qui ne correspond pas aux réalités insulaires de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion … ou même de la Corse. Une insuffisance corrigée par une circulaire du Premier Ministre de Mai 1985.

Un problème d'échelle dans l'environnement des Petites Antilles

Le principal problème est que le cadre posé pour la Coopération Décentralisée ne correspond que difficilement à la réalité géopolitique des collectivités locales insulaires de la Caraïbe. La question du niveau d'intervention se pose quand on considère que par leur taille, les institutions comme le Conseil Régional ou le Conseil Général peuvent trouver des partenaires équivalents dans les Grandes Antilles (Départements, communautés urbaines ou leurs équivalents de Cuba, d'Haïti, de République Dominicaine ou de Jamaïque), mais bien plus difficilement dans leur environnement immédiat constitué de micro-Etats. Un accord de partenariat avec une île voisine, apparaissant comme la manifestation d'une solidarité bien intégrée par ses promoteurs, se retrouve entaché d'illégalité parce qu'il empiète sur le domaine réservé de la diplomatie, sur les prérogatives de l'Etat.

Une tutelle métropolitaine remise en question au nom de l'identité caribéenne

Si des dispositifs législatifs organisent la participation des régions d'Outre-Mer aux processus d'élaboration des traités internationaux par le biais d'avis consultatifs ou même d'une participation aux négociations, de telles mesures apparaissent bien peu satisfaisants, à la fois en termes d'efficacité et de signification politique, dans un contexte ou les questions d'identité et de souveraineté qui entourent la coopération régionale sont les enjeux de vifs débats.

La position de plusieurs responsables martiniquais, exprimée à l'occasion des polémiques qui ont suivi les événements du Sommet de l'AEC à Santo Domingo, lors de critiques exprimées à l'encontre de la politique d'attribution des visas aux ressortissants caribéens, ou encore à travers des réactions pour le moins agacées face aux initiatives du réseau diplomatique français pour impulser la Coopération Décentralisée, donnent la mesure du caractère sensible de la question.

"Pour l'heure, notre défi ne s'appuie pas sur les refrains imbéciles de l'intégration à l'Europe mais bien sur nos retrouvailles avec la Caraïbe d'abord. Kenny Anthony, Premier ministre de Sainte Lucie, et ses collaborateurs du gouvernement savent que la question des visas est un obstacle majeur à ces retrouvailles. La fébrilité de l'ambassadeur de France insistant sur l'intérêt de jumeler Fort-de-France et Castries nous est apparue comme une tentative de placer toute initiative martinico-sainte-lucienne sous le haut (et innocent ?) tutorat du représentant de l'Etat français à Sainte-Lucie."

      Paul GABOURG, militant anticolonialiste

      In "Coopération à la française : la couleur guenon"

      Tribune parue dans ANTILLA N°845 - 13 Août 1999

Le caractère fortement symbolique de la coopération formelle (participation à des sommets, signature de déclarations et de traités) reflète la possibilité pour les responsables politiques de l'Outre-Mer d'exprimer, dans des actes officiels, une identité caribéenne installant leurs pays dans un dialogue de plain pied avec leurs voisins caribéens. C'est cette volonté qui entre en conflit avec un cadre réglementaire et une pratique institutionnelle qui, en organisant une "couverture" des initiatives des D.F.A. par le Ministère des Affaires Etrangères et le Secrétariat d'Etat à la Coopération, assurent la cohérence de l'action diplomatique française et préservent le domaine de compétences constituant la souveraineté de l'Etat.

Les conclusions du Rapport Lise-Tamaya montrent qu'un consensus se dessine dans l'Outre-Mer pour demander une évolution significative de cet état de choses.

      "Pour permettre aux DOM de disposer des instruments nécessaires à leur insertion dans les régions qui les entourent et stimuler le développement économique par une politique de coopération régionale dynamique, divers moyens doivent être mis en place.

      Le président du conseil régional ou du conseil général doit pouvoir se faire délivrer par les autorités compétentes de la République un pouvoir pour négocier des traités et accords internationaux avec un Etat étranger ou une organisation régionale. L'accord pourrait porter sur tout domaine, y compris ne relevant pas de la compétence de la collectivité locale considérée (comme, par exemple, les conventions fiscales ou les conventions portant sur la délimitation des eaux territoriales)./…

      Si cette solution n'était pas retenue pour une négociation déterminée, et si l'accord touche à une compétence de la région ou du département, un représentant du président de l'assemblée concernée devrait alors participer à la délégation chargée de négocier au nom de la France ledit accord. Les collectivités locales des DOM doivent également pouvoir désormais librement conclure des accords techniques ("arrangements administratifs") avec des Etats étrangers de la région dans les domaines de leurs compétences. L'article L.1112-5 du code général des collectivités territoriales interdit aujourd'hui une telle possibilité."

      Document de synthèse - Fiche N°6

      D'après : Claude LISE, Sénateur de la Martinique
      et Michel TAMAYA, Député de la Réunion

      "Les départements d'outre-mer aujourd'hui : la voie de la responsabilité"

      Rapport à Monsieur le Premier Ministre, Juin 1999

III.3.b - Faut-il faire de la question du statut un préalable à la Coopération Régionale ?

Les limites du cadre législatif actuel une fois mises en évidence, et les enjeux identitaires et politiques de la question du statut - et des compétences diplomatiques - des D.F.A. une fois cernés, l'observation des réalisations effectives prouve que des actions décisives et porteuses de potentialités pour l'avenir peuvent être entreprises dans le cadre réglementaire actuel. Une approche pragmatique conduit même à penser que le recours aux autorités parisiennes et au réseau diplomatique français dans la Caraïbe, pour pesant qu'il puisse paraître, et malgré tout ce qu'il implique "d'interférences" perçues dans une dynamique d'échange caribéenne, est avant tout susceptible de constituer un avantage décisif pour ces actions. Les ressources mobilisables en termes de réseaux, d'expertises et de financements peuvent constituer des atouts déterminants, profitables également aux partenaires caribéens.

Un argument final serait de dire qu'une coopération dynamique et entreprenante, composant avec les atouts et les inconvénients du cadre actuel constituera toujours la meilleure base possible pour une évaluation des aménagement nécessaires. Des réalisations concrètes, dûment documentées, constitueront autant d'arguments pour un élargissement des compétences des collectivités locales, évolution qui se réaliserait sur la base d'un consensus nourri de l'observation des réalités opérationnelles.

III.4 - Une coopération économique qui reste à développer

On a vu précédemment, lors de l'analyse des logiques de développement des tissus industriels caribéens, que ceux-ci portaient en germe des tendances protectionnistes. Le fait que les industries de substitution aux importations aient été mises en place à une époque où les coûts logistiques accolés aux importations rendaient certaines productions locales compétitives, et que ces industries, conçues pour satisfaire les demandes locales, n'aient pas de vocation à l'exportation et supportent difficilement la concurrence extérieure conduit à penser que les negative lists soient là pour durer.

En ce qui concerne les relations commerciales de la Martinique avec ses voisins caribéens, on a également vu que la non-réciprocité déterminée par le Système de Préférences Généralisé de l'Union européenne dans ses relations avec les pays ACP avait en fait un impact limité sur l'équilibre des échanges caribéens.

      "Sans nier l'impact de toutes les préférences tarifaires, il convient de les relativiser : l'intensité des importations venant de l'union douanière dont font partie les DOM de longue date (avec la France, en application de la loi du 19 Mars 1946; avec cinq autres Etats européens, en conséquence du traité fondant la CEE) a sûrement été autant favorisée par l'existence de réseaux de distribution et de facilités de transports réguliers entre l'Europe et les DOM que par le désarmement tarifaire : peu après son adhésion à la Communauté, l'Espagne occupe parmi les fournisseurs des DOM une place identique (1,6%) à celle de la Belgique et du Luxembourg réunis.

      En revanche, l'ouverture des facilités du Système de Préférence Généralisé dès 1971 à destination de tous les Etats ou pays considérés comme en voie de développement (et cela visait notamment tous les Anglophones et Hispanophones … voisins des DOM) n'a incité les opérateurs économiques ni à s'empresser de mettre sur pied des moyens de transport et des circuits de commercialisation, ni à amorcer des productions compatibles avec les normes et les habitudes de consommation de ces marchés potentiels."

      Danielle PERROT - Université des Antilles et de la Guyane

      "Les départements français de la Caraïbe et la contrainte communautaire

      dans leurs relations avec les Etats tiers de la Caraïbe" - 1991

D'ailleurs, demander la fin des negative lists aux voisins caribéens suppose que l'on soit, en Martinique, disposé à accueillir des produits caribéens en retour sur le marché local, quitte à ce qu'ils fassent concurrence aux productions locales.

La nécessité d'une sensibilisation aux enjeux du commerce international

Les faits de l'actualité montrent que la théorie des avantages comparatifs n'est encore intégrée que de façon imparfaite dans les schémas mentaux locaux : les importations de sucre guadeloupéen subissent des outrages que le sucre de betterave n'a jamais connus, et les ignames de Dominique ont plus de difficulté à aborder le marché que celles du Loiret ou du Costa Rica.

Un véritable travail de sensibilisation doit être fait sur ces questions, et le sens d'une solidarité économique caribéenne reste à construire. L'objectif qui consiste à réaliser un marché caribéen qui bénéficierait en priorité aux productions caribéennes demande un travail de longue haleine, même si des complémentarités peuvent être trouvées au niveau des produits de grande consommation.

Les potentialités sont là, reconnues par tous, qui feraient d'une plus grande intégration économique à la Caraïbe un succès pour la Martinique. Des exemples concrets vont d'ailleurs dans ce sens, les plus médiatisés étant constitués par la position commune des Régions Ultra-Périphériques de l'Union Européenne et des producteurs caribéens du groupe des pays Afrique-Caraïbe-Pacifique, sur la question de l'accès au marché européen de la banane.

De la similitude à la complémentarité ?

Outre la coordination des efforts politiques dans le cadre des négociations au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce, la coopération caribéenne en matière de banane recouvre d'autres aspects, dont certains ont un potentiel certain : assistance technique de la Martinique, à travers le Conseil Général, pour l'irrigation des exploitations à la Dominique et à Sainte-Lucie; flux logistiques; campagnes de marketing communes pour la promotion des bananes caribéennes face aux "bananes dollar". Le dossier de la banane est un exemple concret que la similitude des productions caribéennes, loin de constituer un handicap pour la coopération régionale, sert de base au développement d'actions importantes. D'autres champs peuvent être envisagés dans cette optique : promotion commune des rhums caribéens, agricoles ou industriels, mais issus d'une tradition industrielle et d'un savoir-faire séculaires, face aux alcools européens de qualité inférieure qui "usurpent" la dénomination de rhum, et limitent ainsi le potentiel commercial de produits de grande qualité.…

L'insuffisance des réseaux commerciaux caribéens de la Martinique

      "Les raisons abondent pour expliquer les maigres performances à l'exportation des DOM : liaisons aériennes et maritimes insuffisantes, concurrence des pays à faibles coûts salariaux sur des produits similaires, effets négatifs de la Convention de Lomé en cours de révision, etc. Mais la réussite de quelques entreprises prouve que c'est plutôt l'inertie des relations traditionnelles avec la métropole qui est cause de cet état de fait. Des possibilités existent cependant dans les domaines suivants :

      a/ exportation de services : l'avance technologique des DOM par rapport à leur environnement permet de vendre aux pays des régions environnantes des services d'ingénierie, d'installation d'équipements et de formation de personnel, d'entretien de machines, dans les domaines de l'informatique, des télécommunications, de la météo, des recherches tropicales, géologiques, etc.

      b/ exportation de produits : […] cette piste a déjà été évoquée plus haut. Le développement de produits haut de gamme en particulier dans le domaine agro-alimentaire devrait permettre de gagner des marchés, dès lors que des efforts sont consentis dans le secteur de la publicité, qui créent un "effet de mode". […] on devrait envisager une stratégie "d'export-substitution" en faveur de produits manufacturés pas ou peu pénalisés par le coût des transports et pour lesquels une forte demande existe, comme les produits pharmaceutiques. Mais la fidélisation des marchés implique la possibilité de flux réguliers de produits exportables, qualitativement et quantitativement."

      Eliane MOSSE - Economiste

      "Quel développement économique pour les Départements d'Outre-Mer ?"

      Rapport à Monsieur le Secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer, Février 1999

Le coût du transport dans l'espace caribéen est souvent évoqué comme un des principaux facteurs limitant les échanges économiques dans la Caraïbe. Faut-il que ce coût baisse pour que les échanges se développent, ou faut-il plutôt que les flux de personnes et de marchandises soient suffisants pour que l'on aboutisse, grâce aux économies d'échelle et au jeu de la concurrence, à une baisse des tarifs pratiqués ? La vérité se trouve certainement entre ces deux propositions, mais deux remarques indiquent de quel côté on a plus de chances de la trouver : premièrement, les tarifs et la rareté des liaisons n'ont pas empêché le développement de réseaux et de pratiques commerciales informels et efficaces, comme le prouve l'exemple des "Madan Sara", ces marchandes ambulantes haïtiennes qui circulent de la Floride aux Guyanes pour acheter ou vendre produits alimentaires, articles textiles et de maroquinerie, gadgets et autres menus équipements; deuxièmement, les tarifs pratiqués sont suffisamment modiques pour permettre à des contingents significatifs de touristes martiniquais de s'approprier l'espace caribéen, de Margarita à Miami.

La nécessité de créer des structures pérennes

Les nombreuses visites de délégations et voyages d'études organisés par les milieux d'affaires martiniquais (sur le modèle de la mission Cap Antilles réalisée en Haïti en 1998) sont l'occasion pour les entrepreneurs de nouer des contacts et de prendre conscience des opportunités d'affaires. Le principal problème est que le développement de relations économiques significatives suppose l'établissement de relations de confiance, lesquelles ne sont possibles qu'avec la réalisation de deux conditions : la durée des relations et la continuité des échanges d'informations entre les partenaires potentiels.

Les observateurs avertis s'accordent pour reconnaître que la mise en place de structures durables, à même d'assurer le suivi des contacts, de réaliser études de marché et prospections commerciales et de permettre l'amorçage de véritables courants d'affaires, est une condition sine qua non du développement des échanges économiques.

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