Ma Négritude au 21e siècle

Ma Négritude au 21e siècle
Mis en ligne le 10 juillet 2003.

(en réponse à la tribune de Madame Livie PIERRE-CHARLES, parue dans
ANTILLA N°1046 du 3 Juillet 2003)

« La Négritude, qu’est-ce que c’est en fait ? » La question que vous
posez en entrée de votre tribune est, Madame, aussi essentielle que
fondamentale.

Vous me permettrez, pour répondre à votre question, de développer une
opinion divergente de celle que vous avez exposée en remettant en cause,
me semble-t-il, la légitimité du concept de Négritude à l’orée du XXIème
siècle.

Tout d’abord, qu’il s’agisse « d’une doctrine, d’une idéologie, d’une
théorie » ou « d’un mouvement littéraire », la Négritude n’est pas,
selon moi, une idée à laquelle on peut dire « Bonjour et adieu » comme
l’a fait René DEPESTRE en 1989, prétextant, entre autres arguments,
qu’elle « s’est affaiblie d’une mauvaise approche méthodologique des
recherches anthropologiques et ethniques ».

Toute approche « anthropologique » du phénomène Nègre est selon moi
suspecte, puisque cette discipline scientifique s’est développée, à la
fin du XIXème siècle, dans des milieux universitaires au service du
phénomène colonial qui leur a offert leurs premiers terrains d’études
(lire ou relire Discours sur le Colonialisme et Peaux noires Masques
Blancs).

La Négritude n’est pas non plus, un « concept dangereux » qui « installe
le Nègre dans une spécificité reflétant des conditions socio-économiques
» historiquement définies, comme le dit Maryse CONDE, que vous citez. Le
phénomène Nègre n’est pas d’essence folklorique, même si nombreux sont
ceux qui méritent vos critiques pour avoir privilégié cet aspect dans
leurs recherches et leur création. Un homme qui crie n’est pas un ours
qui danse. Le Blues de Sonny n’a pas été crié pour enchanter un soir de
mélancolie parisienne au décor de fenêtres battues par la pluie.

Ma Négritude, Madame, n’a pas « la vocation insidieuse de nous imposer
l’identification aux victimes qu’étaient nos ancêtres entassées dans la
cale des bateaux négriers ». Elle est pourtant, debout en plein soleil,
mémoire et identité.

Ma Négritude, Madame, n’a pas de « sonorités ethniques de nature à
inspirer la racialisation des rapports entre hommes et femmes de bonne
volonté ». Elle est simple constat de différences que je ne suis pas
seul à percevoir, au sein de la société dans laquelle j’évolue, et que
je serais donc mal inspiré d’oublier.

Ne craignez rien, Madame, ma Négritude, qui se voudrait consensuelle et
cordiale, n’est pas de nature à « réveiller les vieux démons dominateurs
chez ceux qui seraient tentés de se servir du critère de notre
pigmentation pour nous interdire l’accès de la cour des grands » !

Je n’ai que faire, Madame, de cette « Cour des Grands », où les vieux
démons dominateurs dont vous craignez le réveil se pavanent toujours.
Nous ne sommes pas, Madame, des citoyens incolores, vivant au quotidien
dans un Etat de droit. Nos sociétés, ne vous déplaise, sont toujours,
après cent-cinquante et quelques années, marquées au quotidien par une
racialisation qui vire au racisme le plus brutal ou le plus insidieux.
Dans ce contexte délétère, refouler toute perception du racisme ambiant,
que ce soit dans l’Hexagone ou en Martinique, serait faire montre d’une
aliénation que recherchent les oppresseurs que vous croyez endormis.

Ma Négritude, consensuelle et cordiale, est juste l’expression d’une
différence dont j’ai bon droit de demander l’acceptation par tous.

Pour entrer un jour dans la Cour des Grands, ma Négritude, qui est
Mémoire, Madame, se parera du souvenir de tout ce que les Nègres (qui
n’ont inventé ni la boussole ni la poudre à canon) ont créé de grand et
de beau pour enchanter le monde. Je prendrai le Jazz de Louis Armstrong
et la géométrie des pyramides, le rire de Langston Hugues et les vers
incandescents du Nègre fondamental, les Amazones de Béhanzin et le ciel
au dessus des Quilombos.

Je prendrai surtout le Swing, Madame, enfant Nègre turbulent qui n’a que
faire de l’ordonnancement de votre chignon.

None of them can stop the Time (1). Ne prenons donc pas "leurs"
calendriers pour marquer la fin de notre cheminement. N’ayez crainte,
Madame, nous danserons un jour dans votre Cour des Grands. Nous pourrons
alors dire qu’un nouveau siècle aura commencé.

(1) "Aucun d’entre eux [ceux de la Cour des Grands] ne peut arrêter le
temps" - Bob Marley, Redemption Song

© Bwabrilé, 10 juillet 2003.

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