MATRIX RELOADED

MATRIX RELOADED
Mis en ligne le 5 mai 2003.

Bouyaka ! Bouyaka ! Love and Philo !

Un article que j’ai écrit après avoir vu trois (3) fois le deuxième
épisode de la saga MATRIX. Il a eu un certain succès et a été repris sur
divers sites Internet alternatif. Au vu de la fin de la saga, la plupart
de mes espoirs ont été déçus. "Hollywood burn", Hollywood nous berne...

Souvenirs du premier épisode, en 1999


MATRIX était à sa sortie le film idéal pour informaticien frustré, pour
nerd passant sa vie devant un écran d’ordinateur en y cherchant le sens
de la vie, avec l’intime conviction que l’informatique et les NTIC
allaient changer le monde... Des images de synthèses bluffantes (le
bullet time), des effets spéciaux super cool, une supä-choupette en
combinaison moulante, des gunfights d’anthologie (qui n’a jamais rêvé
d’arroser le hall d’accueil de l’immeuble de son boulot à la Kalachnikov
ou au MK5 ?), le produit correspondait à des désirs ... calibrés.

Quatre ans plus tard, les choses ont bien changé. Yahoo et Amazon ne
surfent plus sur la vague de la nouvelle économie. Le E-krach est passé
par là, la E-dépression aussi pour eaucoup qui ont perdu leur job, leurs
stock-options et leurs illusions de grandeur dans la débacle de la
Nouvelle Economie.

Bienvenue dans le désert de la réalité ! La vraie vie, c’est un vaisseau
grinçant et rouillé où le E-toloman de la Matrice est remplacé par une
fade bouillie protéinée enrichie de sels minéraux. Non, frère
informaticien, cette foutue planète n’est pas un programme informatique
que l’on peut hacker à volonté.

La négritude de Morpheus et de ses deux membres d’équipages nées à Zion,
opposés à la "blancheur" aseptisée de la Matrice et de ses agents (Mr
SMITH et ses collègues, chasseurs de rebelles), faisait résonner ce
premier épisode comme une référence à l’histoire du peuple
afro-américain, et l’épopée des personnages principaux comme un
cyber-marronage. Dans le même ordre de référence, la vision hallucinante
des "plantations" de foetus récoltés par des araignées gigantesques
faisait surgir dans l’inconscient des spectateurs celle des champs de
cotons.

La Matrice comme métaphore du système plantationnaire donc. La Matrice
et les machines qui la gouvernent comme un système inique aspirant
l’énergie des hommes et femmes courbés sur des illusions de vies
auxquelles ils cherchent un sens véritable. La Matrice, critique de la
société industrialisée comme métaphore du monde de l’esclavage, le
message apparaîssait alors comme subversif... surtout, comble de
l’ironie, pour une superproduction hollywoodienne.

"High on like a Lion in ZION"

Le combat de Morpheus et de ses compagnons prend de l’ampleur dans le
second épisode, de même que la profondeur des métaphores tressées par
les scénaristes et réalisateurs.

Les marrons cybernétiques de Zion, majoritairement Nègres ou métissés,
libèrent en nombre leurs pairs endormis dans l’esclavage de la Matrice,
(Morpheus = Makandal, roi de l’évasion) et, menacés par l’arrivée
imminente des pieuvres mécaniques de la Matrice, célèbre leur vie et
leur liberté au son du tambour, après le discours de Morphéus.

Bienvenue donc à ZION, la dernière cité de l’humanité libre, quilombo
souterrain enterré sous des kilomètres de roche, cernée par les machines
qui veulent l’anéantir. La population de ZION est nègre pour l’essentiel
et danse au son du tambour. De magnifiques scènes de liesse collective
lors d’une fête de célébration de la vie, au retour de mission de
Morpheus. (la scène est entrecoupée avec un moment intime de Neo et
Trinity pour renforcer le message).

Il ne s’agit pas d’insouciance, mais d’une célébration de la résistance
séculaire de ZION, dont la vie est jour après jour une victoire contre
la Mort symbolisée par la Matrice.

On apprend progressivement (s’acrocher pendant les interludes
philosophiques) que ce sont les humains qui ont construit la première
matrice, et qu’ils se sont branchés sur elle pour se réfugier dans
l’environnement confortable* de son interface afin d’échapper à la
réalité d’une planète devenue invivable suite à un désastre écologique.
C’est ensuite la Matrice qui s’est animée de sa propre vie cybernétique
pour asservir ses créateurs pour assurer sa propre survie. Métaphore du
monde industrialisé et de l’asservissement qu’il provoque.

* des villes bien dessinées, bien desservies, pas de basanés dans les
rues... mis à part Morpheus et l’Oracle.

La métaphore est limpide : La Matrice c’est Babylone, et ZION est son
antithèse

ZION est un monde alternatif frugal, rebelle et sensuel, véritablement
vivant, dont la liberté s’inscrit contre l’asservissement de la
technologie et de la richesse. Et ce même si, paradoxalement, dans les
sous-sols, quelques machines tournent pour garantir la survie de la
population (énergie, eau potable, atmosphère).

Avec ce deuxième épisode, la trilogie MATRIX développe une analyse du
monde contemporain tel qu’il a été créé par les derniers siècles
d’histoire humaine.

Au delà d’un hommage aux classes opprimées de la société américaine, la
composition ethnique de la population de ZION interroge la société
états-unienne actuelle : on peut en effet imaginer que les ancêtres des
habitants de ZION étaient les laissés pour compte des ghettos urbains
étatsuniens, et qu’ils n’ont jamais eu les moyens de se connecter à la
première Matrice (résidence de luxe pour les classes privilégiées ?).

Le scénario de la trilogie et son sub-texte pose donc un discours
radical sur la polarisation raciale et sociale de la société américaine
et sa colonialité résiduelle. La présence au sein du casting du
philosophe afro-américain Cornel WEST universitaire afro-américain
prestigieux qui joue le rôle d’un membre du très multi-racial Haut
Conseil de ZION, valide cette analyse, et la subversivité du message de
la trilogie des frères WASHOWSKY.

La subversion comme "plus produit" hollywoodien ?

Une subversivité relativement surprenante dans la mesure où elle prend
place dans une superproduction hollywoodienne, produite à coups de
millions de dollars par la "Matrice" de l’industrie du show business
états-uniens, dont les prétentions globales sur les rêves de la planète
Terre sont connues de longue date. Reste à voir dans quelle mesure ce
qui apparaît comme subversion n’est qu’un argument Marketing, comme cela
a été le cas dans le passé, malgré les dénégations de cinéastes alors
controversés : Voir "Natural Born Killers" que Oliver STONE présentait
comme une "critique des médias affamés de sensationnalisme" et "Menace
II Society" des frères Hugues, qui semblait plus valider que critiquer
la culture "gangsta", et titait profit d’une mise en spectacle de la
violence des ghettos californiens.

A priori, les héros de MATRIX l’emporteront à la fin de la trilogie.
C’est évident quand Neo, refusant de suivre le chemin indiqué par
l’Architecte, arrive à sauver Trinity (rappel du premier épisode qui
laisse l’impression que MATRIX est peut-être, avant tout, une trilogie
sur la force invincible de l’Amour). Les héros l’emporteront donc à la
fin, mais peut-être pas tous (Link est, selon moi, un candidat probable
au trépas glorieux dans le troisième épisode). Mais dans quel cadre
vont-ils gagner leur combat ? Dans la Matrice, hors de la Matrice et
dans le monde réel ? Dans une autre Matrice ?

La fin du deuxième épisode pose en effet quelques interrogations sur la
duplicité de la Matrice : Les pouvoirs que l’Elu a développés dans son
sein se révèlent réels dans le monde réel (il neutralise les pieuvres
mécaniques d’un geste, après avoir abandonné le vaisseau de Morpheus).

De quoi s’interroger sur les pouvoirs (technologie, langage, savoir,
richesse...) que nous a donnés la Matrice dans laquelle nous vivons, et
sur leur finalité. Le développement sur la liberté et la causalité,
offert par Merovingian, instille une once de doute à ce niveau
d’analyse, au bénéfice du suspens, peut-être.

Le désert du réel

Le titre du troisième et dernier épisode de la trilogie, attendu en
Novembre 2003, "THE MATRIX, REVOLUTIONS" permet d’augurer la poursuite
du discours politique qui semble entamé par les frères WASHOWSKY. Le
silence des deux réalisateurs, qui n’accorderont d’entretiens qu’à la
sortie du troisième épisode, peut participer d’une stratégie marketing,
ou d’une tactique politique. Nous voila en tous cas accrochés.

Il apparaît en fait que l’establishment hollywoodien, si la subversivité
du message politique des trois films ne remet pas en cause son existence
et ses profits (colossaux après les deux premiers épisodes), peut
peut-être s’accomoder d’un discours de rupture comme celui que l’on tend
à distinguer dans les deux premiers épisodes. L’exemple d’autres
cinéastes états-uniens dits "subversifs" (voir plus haut) valide ce qui
semble être une règle de l’industrie médiatique états-unienne. Seul
Spike LEE semble pour le moment échapper à cette logique, et met en
place des stratégies de survie apparaissant comme de la compromission
("Summer of Sam", "24th Hour"). Les difficultés qu’il a connues pour
monter MALCOLM X, et le fait qu’on ne lui a pas laissé tourner la
biographie de MUHAMMAD ALI avec Will SMITH, prouvent que Spike LEE n’a
pas la confiance de l’establishment médiatique. La règle de Hollywood
est connue de tous : passez la barre des 100 millions de dollars au
box-office, et vous pouvez tourner ce que vous voulez.

Dans MATRIX, l’Elu et les pouvoirs qu’il développe, tout comme son
parcours de rebellion, font en fait partie de la logique de
renouvellement de la Matrice. Parallèle avec les élites nationalistes du
Tiers Monde, devenues après les indépendances facteurs d’une colonialité
qu’ils n’ont pas su remettre en cause (Relire La Tragédie du Roi
Christophe et l’essai Toussaint LOUVERTURE d’Aimé CESAIRE).

Love under fire ?


Le pire serait peut-être qu’au terme de la trilogie, MATRIX se révèle
non comme un manifeste philosophique et politique, mais comme un film
d’amour (Neo a en effet refusé son destin et la logique de la Matrice,
non pour des raisons politiques, mais uniquement pour sauver Trinity).
Le film plus romantique le plus explosif de tous les temps, en tous cas.
"Autant en emporte le vent", "Mission Impossible II" et "Le hussard sur
le toit" (pour lequel Keanu REEVES était pressenti) annihilés, enfoncés,
vitrifiés !

Bienvenue dans le désert du réel...

Cornell WEST

Cornell WEST es taujourd’hui un des philosophes et politologues les plus
plus influents des Etats-Unis. Son ouvrage Race Matters (jeu de mots
signifiant en même temps "Affaires de race" et "La race est importante")
publié au début des années 90, est rapidement devenu un best seller
vulgarisant ses analyses sur les rapports entre Blancs et Noirs dans la
société etats-unienne. Aucun de ses livres n’a encore été publié en
Français.

Diplômé de HARVARD avec les honneurs en seulement trois ans, formé à la
philosophie à PRINCETON par Walter KAUFMAN, le plus grand spécialiste
anglo-saxon de NIETZSCHE, Cornell WEST couvre dans ses réflexions un
ensemble de thèmes relatifs à la communauté afro-américaine, à sa
dynamique sociale et à sa culture.

Recruté à grand frais par l’université de HARVARD il y a quelques
années, Cornell WEST a suscité une vive polémique du fait de sa
soi-disant inactivité. L’universitaire, renommé comme "public speaker"
et dont les conférences font généralement salle comble, s’était en effet
offert le luxe de publier un album de rap (entendre quelques extraits à
www.cornelwest.com) mêlant son jazz sophistiqué et "lyrics" imprégnés de
sa philosophie politique ! Au terme de la polémique, alimentée par les
conditions financières très avantageuses de son recrutement par HARVARD,
Cornell WEST a réintégré son alma mater de PRINCETON, où il poursuit son
enseignement ... sauf quand il fait partie du casting d’un block buster
comme MATRIX, où il joue le rôle du "Conseiller WEST" et prononce :
"Comprehension is not a prerequisite for cooperation" !

© Bwabrilé, 5 mai 2003.

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