Le Colonel Louis DELGRES

Le Colonel Louis DELGRES
Mis en ligne le 13 juillet 2005.

Héros martiniquais de l'insurrection guadeloupéenne de 1802

A la différence de la Révolution américaine, la Révolution française de
1789, issue de la philosophie des Lumières, n'avait pris que cinq ans
pour arriver à la conclusion que les Droits de l'homme et du Citoyen,
proclamés universellement, devaient aussi s'appliquer aux populations
serviles des colonies françaises.

La Convention, Parlement de la Première République, abolit donc
l'esclavage en **** 1794. Les calculs politiques n'étaient pas absents
de cette décision : en abolissant l'esclavage, la France mettait en
porte-à-faux l'empire colonial britannique dans la Caraïbe,
affaiblissant l'ennemi du nouveau régime républicain.

Dans la réalité, l'abolition de l'esclavage dans les Antilles française
s'effectua dans un contexte de bataille contre les régiments
britanniques qui occupaient les diverses iles. La Martinique occupée à
partir de 17** avec la complicité des colons royalistes ne retourna dans
le giron français qu'en 1814. En Guadeloupe, les forces britanniques
furent face aux troupes républicaines dirigées par Victor HUGUES, envoyé
de la Convention.

Victor HUGUES disposait de deux atouts : d'une part la guillotine qu'il
amenait depuis la France et qui fut mise à pied d'œuvre pour niveler les
ambitions des colons royalistes, et d'autre part les troupes
républicaines de couleur, qui s'illustraient depuis des années en
guerroyant contre les Britanniques.

Au sein de ces troupes, le personnage de Louis DELGRES. Homme de couleur
libre né à Saint-Pierre en 17**, il a combattu les Britanniques avec le
grade de Lieutenant, sous les ordres de Rochambeau, d'abord en
Martinique (il est fait prisonnier au Morne Rouge) puis à Saint-Vincent
et Sainte-Lucie.

Arrivant en Guadeloupe, c'est avec le grade de Colonel qu'il commande la
garnison de Basse-Terre. La période est relativement troublée.

La période révolutionnaire, troublée dans la Caraïbe, l'est également en
France. Un jeune général aux ambitions démesurées s'empare du pouvoir et
se pliant aux pressions du lobby colonial, rétablit l'esclavage en 1802.
Pour ce faire, il faut reprendre le contrôle des colonies caribéennes où
la République commence à germer, une nouvelle société remplaçant
progressivement l'ordre esclavagiste.

Ce faisant, BONAPARTE s'engage vers le désastre de Saint-Domingue, qui
va conquérir son indépendance de haute lutte en 1804. En Guadeloupe (la
Martinique est verrouillée par les Britanniques), c'est le Général
RICHEPANSE qui débarque le 16 mai 1802 à Basse-Terre, avec la ferme
intention de neutraliser les troupes républicaines de couleur, composées
notamment d'anciens esclaves.

Les cadres venus de la métropole sont écartés par les cadres de couleur
qui prennent le contrôle de la Colonie, tout comme Toussaint LOUVERTURE
à Saint-Domingue s'est proclamé Gouverneur Général, écartant SONTHONAX.
Les quelques années d'autonomie de facto que la Guadeloupe a connu sont
aujourd'hui regardés par les nationalistes guadeloupéens comme la preuve
d'une capacité d'autogestion.

Les premiers soldats emprisonnés, les troupes du Colonel DELGRES et
d'IGNACE effectuent un repli stratégique. IGNACE et MASSOTEAU se
replient avec leurs hommes vers Pointe-à-Pitre, tandis que DELGRES
quitte le Fort Saint-Charles et se replie sur les hauteurs de la
Soufrière, le massif volcanique qui surplombe Basse-Terre.

Les troupes de RICHEPANSE sont plus nombreuses et mieux équipées.
IGNACE, dont les deux fils sont morts au combat, se suicide à Baimbridge
plutôt que d'être capturé. Les survivants de sa troupe sont fusillés au
bord de mer, à Fouillole.

DELGRES, qui s'est réfugié sur l'habitation D'ANGLEMONT et attendait les
renforts d'IGNACE, comprend que sa cause est perdue. Réfugié avec 300 de
ses hommes sur les hauteurs du MATOUBA. Pour soutenir le moral de ses
hommes, il joue du violon. Les troupes de RICHEPANSE approchant, DELGRES
tient sa promesse de Vivre Libre ou Mourir et fait exploser un baril de
poudre, emportant dans la mort quelques soldats ennemis.

Au nombre des survivants du désastre, la mulâtresse SOLITUDE, guerillera
avant l'heure, enceinte, est emprisonnée jusqu'à son accouchement, après
lequel elle est pendue à Basse-Terre, signant la fin de l'aventure
républicaine en Guadeloupe. LA répression suivant les événements de Mai
1802 fera plusieurs dizaines de milliers de morts. Le 16 Juillet 1802,
RICHEPANSE publie un arrêté rétablissant l'esclavage, qui perdurera
jusqu'en 1848.

PROCLAMATION DE DELGRES

(Affichée dans les rues de Basse-Terre avant l'arrivée des troupes de
RICHEPANSE, elle manifeste les soupçons des troupes républicaines
guadeloupéennes)

C'est dans les plus beaux jours d'un siècle à jamais célèbre par le
triomphe des Lumières et de la Philosophie, qu'une classe d'infortunés
qu'on veut anéantir, se voit obligée d'élever la voix vers la postérité,
pour lui faire connaître, lorsqu'elle aura disparu, son innocence et ses
malheurs.

Victime de quelques individus altérés de sang qui ont osé tromper le
gouvernement français, une foule de citoyens toujours fidèles à la
Patrie, se voit enveloppée par une proscription méditée par l'auteur de
tous ses maux.

Le Général Richepance, dont nous ne connaissons pas l'étendue des
pouvoirs, puisqu'il ne s'annonce que comme général d'armée, ne nous a
fait connaître son arrivée que par une proclamation, dont les
expressions sont si bien mesurées que, alors même qu'il promet
protection, il pourrait nous donner la mort sans s'écarter des termes
dont il se sert.

A ce style, nous avons reconnu l'influence du contre-amiral Lacrosse,
qui nous a juré une haine éternelle.

Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été
trompé par cet homme perfide qui sait employer également le poignard et
la calomnie.

Quels sont les coups d'autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger
contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions
à calculer le moment de l'arrivée et qui naguère ne les dirigeaient que
contre les ennemis de la République ?

Ah ! plutôt, si nous en croyons les coups d'autorité déjà frappés, au
Fort de la Liberté, le système d'une mort lente dans les cachots
continue à être suivi.

Eh bien ! nous choisissons de mourir plus promptement.

Osons le dire : les maximes de la tyrannie la plus atroce sont
surpassées aujourd'hui.

Nos anciens tyrans permettaient à un maître d'affranchir son esclave, et
tout nous annonce que, dans le siècle de la Philosophie, il existe des
hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de
l'autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d'hommes noirs, ou
tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l'esclavage.

Et vous, premier Consul de le République, vous guerrier philosophique,
de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il
que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d'où partent les
conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah !
sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence ; mais il sera plus
temps, et des pervers auront déjà profité des calomnies qu'ils ont
prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.

Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l'épiderme est un
titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous
menace (à moins qu'on ne veuille vous faire un crime de n'avoir pas
dirigé vos armes contre nous), vous avez entendu les motifs qui ont
excité notre indignation.

La résistance à l'oppression est un droit naturel. La divinité même ne
peut être offensée que nous défendions notre cause. Elle est celle de la
Justice et de l'Humanité.

Nous ne la souillerons pas par l'ombre même du crime.

Oui, nous sommes résolus de nous tenir sur une juste défensive, mais
nous ne deviendrons jamais agresseurs.

Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part.

Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants,
vos propriétés et d'employer tous les moyens à les faire respecter par
tous.

Et toi, Postérité, accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons
satisfaits.

Le Colonel d'Infanterie, commandant en chef de la force armée de la
Basse Terre, Signé : Louis DELGRES

© Bwabrilé, 13 juillet 2005.

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