Le Chevalier SAINT-GEORGES

Le Chevalier SAINT-GEORGES
Mis en ligne le 13 juillet 2005.

LE CHEVALIER SAINT-GEORGES EST-IL LE "MOZART NOIR" ?

Violoniste virtuose, cavalier émérite, séducteur, escrimeur de première
classe, Joseph BOLOGNE, Chevalier de SAINT-GEORGES (1745-1799), fut une
des stars de la cour de Versailles, puis un des héros de la Révolution
française comme Chef de Brigade. Qu'il ait glissé ensuite dans l'oubli
tient à la politique raciste de Napoléon BONAPARTE.

(Pochette de disque d'après un portrait du peintre américain Mather
BROWN)

L'enfance

Né le jour de Noël 1745, le Chevalier SAINT-GEORGES a pour père Georges
de Bologne de Saint-Georges, dont la famille est installée en Guadeloupe
depuis un siècle, et Nanon, jeune esclave de 17 ans. Ayant tué un homme
en duel, le père se réfugie en France en amenant sa concubine et son
jeune fils en 1749. L'influence de la famille BOLOGNE à la cour de
Versailles lui permet d'obtenir la grâce de Louis XV, la famille
retournant en Guadeloupe peu après.

Sur la plantation de son père, le jeune Joseph reçoit une éducation
privilégiée : son père lui enseigne l'escrime et la musique, avant de
l'envoyer à Bordeaux pour ses études en 1753. Son père le rejoint à
Paris en 1755, achetant une charge de Gentilhomme ordinaire de la
chambre du roi (à l'époque, les postes publics s'achètent, tout comme
les titres de noblesse).

Le jeune prodige

Le jeune Joseph entre en 1756 à l'académie d'escrime de Nicolas Texier
de la Boessière, un pensionnat d'élite pour les jeunes aristocrates, où
le jeune guadeloupéen fait prodige. Il apprend en même temps la danse,
les langues étrangères, les mathématiques, ainsi que l'équitation aux
Tuileries. En 1761, â l'âge de 15 ans, Joseph BOLOGNE devient Officier
de la Garde du Roi.

La "star"

La position sociale du Chevalier SAINT-GEORGES (homme de couleur, il n'a
pas en principe, le droit de porter ce titre) est paradoxale dans une
France qui voit monter les préjugés raciaux. Sa réputation
d'invincibilité en escrime (des escrimeurs viennent à Paris pour
l'affronter), sa capacité à dresser les chevaux les plus difficiles, sa
virtuosité à la danse établissent un prestige qui lui assure des succès
féminins.

Un soir au théâtre, un homme s'introduit dans la loge qu'il occupe pour
poursuivre de ses assiduités la jeune femme qu'il accompagne. Celle-ci
proteste : "Mais enfin Monsieur, vous voyez bien que je suis
accompagnée !" "Par qui ?" demande l'importun, un peu distrait. En
quelques secondes, il est saisi et balancé par dessus le balcon !

Virtuose au violon et au clavecin, ami des principaux compositeurs de
l'époque, SAINT-GEORGES participe en 1769 à la création du Concert des
Amateurs, le plus prestigieux orchestre de l'époque, qu'il dirige sous
peu. Ce poste de prestige compense la cabale dont il a été victime,
l'empêchant de diriger l'Opéra de Paris.

Le musicien de premier ordre

La carrière musicale de SAINT-GEORGES attente son apogée quant il dirige
le théâtre privé de la Marquise de Montesson, épouse du Duc d'Orléans.
Deux symphonies en 1776, deux autres en 1778... Il est aujourd'hui admis
que Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) fut influencé par SAINT-GEORGES.
La musique du ballet "Les Petits Riens", écrit par MOZART et joué le 11
juin 1778 par l'Académie Royale de Musique reprend en partie un concerto
écrit quelques mois auparavant par SAINT-GEORGES !

Tant qu'à appeler SAINT-GEORGES le "Mozart Noir", peut-être serait-il
plus judicieux d'appeler MOZART le "SAINT-GEORGES Blanc" ! En effet, le
prestige social et la fortune des deux musiciens. à l'époque où ils se
fréquentent, provoquent une certaine jalousie chez MOZART, certain
voyant le personnage sombre de la Flute Enchantée comme inspiré par
Saint-Georges.

Jalousies

En devenant un des favoris de Marie-Antoinette, qui l'invite à jouer à
Versailles en 1779, SAINT-GEORGES provoque des jalousies. Agressé par
six hommes, il se défend jusqu'à l'arrivée du guet, qui arrête les
agresseurs avant de se rendre compte qu'ils sont membres de la police
secrète de Versailles !

Pour trouver d'autres appuis, SAINT-GEORGES est initié en 1780 par la
loge du Grand Orient de France, qui crée un orchestre lorsque le concert
des Amateurs est dissous en 1781. Les six "Symphonies Parisiennes" de
Haydn, commandées par Saint-Georges, seront jouées par le Concert de la
Loge Olympique en 1787.

Ayant visité Londres pour un duel avec la légendaire Chevalière d'Eon
(agent secret et diplomate français travesti en femme), SAINT-GEORGES
prend contact avec les cercles abolitionnistes. De retour en France, il
participe à la création de la Société des Amis des Noirs.

Saint-Georges, le Révolutionnaire

Vivant à Lille lorsqu''eclate la Révolution française de 1789,
SAINT-GEORGES s'engage dans la Garde civile, où il obtient le grade de
capitaine en 1790. ses responsabilités militaires ne l'empêchent pas de
continuer à composer et jouer, préférant se faire appeler Joseph BOLOGNE
ou SAINT-GEORGES tout court, puisque ses liens avec l'aristocratie le
rendent suspect.

Le premier Septembre 1791, une délégation conduite par Julien Raimond,
de Saint-Domingue, demande à l Assemblée Nationale d'approuver la
formation d'un corps de troupe composé d'hommes de couleur, ayant pour
but de défendre la Révolution. SAINT-GEORGES dirigera ce corps de troupe
(800 fantassins et 200 cavaliers) avec le grade de colonel. De "Légion
franche de Cavalerie des Américains et du Midy", le corps sera bientôt
appelé "Légion Saint-Georges". Au nombre des cadres de cette troupe, un
jeune colosse métis dont le parcours est similaire à celui de
SAINT-GEORGES : Né a Saint-Domingue, dans la ville de Jérémie, il
s'appelle DUMAS et sera le père de l'auteur des Trois Mousquetaires.

Alors que la Légion SAINT-GEORGES a repoussé les Autrichiens qui
assiègent Lille en 1792, la troupe d'homme de couleur est en butte aux
préjugés des cadres du Ministère de la Guerre, qui entent l'envoyer dans
les colonies pour réprimer les troubles causés par la Révolution.
SAINT-GEORGES et DUMAS déjouent cependant la trahison de DUMOURIEZ qui,
secrètement allié aux royalistes, voulait capturer Lille et marcher sur
Paris.

La mort et l'oubli

Victime d'un complot (on l'accuse d'avoir détourné des fonds)
SAINT-GEORGES et arrêté en Novembre 1793 et ne sera libéré qu'en Octobre
1794. Il part ensuite guerroyer à Saint-Domingue, où les troupes
républicaines combattent les Britanniques débarqués depuis la Jamaïque
voisine. De retour sur Paris en 1797, SAINT-GEORGES dirige un nouvel
orchestre dont le succès ne dément pas sa réputation.

Vivant seul, il contracte une infection de la vessie dont il décède le
10 juin 1799. La nouvelle de son décès est publiée dans les principaux
titres de la presse, quelques œuvres posthumes un concerto et quelques
sonates) étant publiées.

Le personnage qui avait si bien incarné les derniers feux de l'Ancien
Régime semble en porte à faux dans une nouvelle ère. LE Journal de Paris
du 14 Juin 1799 synthétise cette opinion : "Pour avoir trop bien incarné
l'avenir, il ne pouvait plus être identifié même lointainement au
présent...".

En 1802, Napoléon BONAPARTE entreprend de rétablir l'esclavage dans les
colonies française. si à Saint-Domingue, c'est le désastre pour les
troupes de LECLERC, RICHEPANSE triomphe en Guadeloupe. Un autre officier
de couleur, lui aussi violoniste, se sacrifie au Matouba avec 300 de ses
hommes : Le Colonel Louis DELGRES.

Aveuglé par son racisme, Napoléon prend des mesures pour que le souvenir
de SAINT-GEORGES soit gommé. De même, les exploits militaires de DUMAS
compteront pour rien une fois que ce dernier refuse de combattre contre
les insurgés de Saint-Domingue, et le père du petit Alexandre mourras en
disgrâce.

© Bwabrilé, 13 juillet 2005.

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