HAITI, EDUCATION A LA PAIX

HAïTI, EDUCATION A LA PAIX
Mis en ligne le 29 octobre 2005.


J'ai rédigé cet article en Octobre 1998, pour le numéro 12 du Bulletin
du Projet Haïti des Brigades de Paix Internationales (PBI), une ONG au
sein de laquelle j'ai travaillé pendant un an. Le projet a été fermé en
2000. Le texte expose les principes conduisant les actions de formations
auxquelles j'ai participé comme Formateur et Chef de Projet.

Au sein des Brigades de Paix Internationales, le Projet Haïti se
distingue par la place dominante accordée à la formation. PBI s'est
implanté en Haïti fin 1995, à la suite de l'opération "Cry for Justice"
de 1993 (des observateurs internationaux issus d'roganisations comme Pax
Christi USA, Witness for Peace, PBI et Christian Pecemakers s'étaient
rendus en Haïti pour recueillir des témoignages sur les violations de
Droits Humains alors que les observateurs de l'ONU avaient été retirés),
avec pour objectif d'accompagner le processus démocratique en cours dans
le pays. Bien vite, il est apparu que, à la différence des projets de
PBI au Guatemala ou en Colombie, par exemple, la demande principale
émanant de nos partenaires locaux n'était pas l'accompagnement
international protecteur ou l'observation de situations conflictuelles.

Ce qui intéressait en premier lieu les Haïtiennes et les Haïtiens avec
qui nous avons noué des relations, c'est ce qui, dans l'expérience et la
réflexion de PBI autour de la non-violence active, pouvait être appliqué
à leur réalité. C'est ainsi que nous en sommes venus progressivement à
développer des activités d'Education à la Paix.

Education à la Paix. Le terme, assurément, soulève des interrogations.
Signifie-t-il que la Paix est quelque chose que l'on apprend ? Et
d'abord, qu'est-ce que la Paix ? Poser la question, en Haïti, est loin
d'être simple.

Peut-on définir la Paix comme une absence de confrontation, de
violence ? Quand on regarde autour de soi, la violence est partout,
bruyante, brutale, ou silencieuse et désespérante. Violence tout d'abord
des inégalités et de la misère du plus grand nombre. Comme le dit un
proverbe créole, 'Si pa gen lapè nan vant, pa gen lapè nan tèt' (S'il
n'y a pas la Paix dans les ventres, il ne peut y avoir la Paix dans les
têtes). Cette situation implique, pour ceux qui la vivent, une
mobilisation de tous les instants, des actes de résistance quotidiens.

Faire face à la violence structurelle
La violence, dans ce contexte, est omniprésente, latente. Du paysage de
catastrophe permanente que constituent les bidonvilles, ou les terroirs
soumis au déboisement et à l'érosion, rayonne une énergie qui est celle
d'un désespoir et d'une frustration longtemps contenus. Les images de
pneus enflammés, les scènes d'émeute et de pillage qu'offre parfois
l'actualité seraient-elles l'expression d'une violence populaire
légitime et nihiliste, la révolte des damnés de la terre, la
manifestation d'une malédiction aux relents de crasse et de mauvais
alcool ? Ces images d'Haïti, en tout cas, les médias internationaux en
sont friands. 'Haïti, l'enfer à domicile', titrait il n'y a pas
longtemps un hebdomadaire français.

Et pourtant. Nombreux sont ceux qui, dans ce paysage, veulent choisir un
autre chemin, et explorer d'autres façons de vivre et de travailler
ensemble. C'est aux demandes qui émanent de ces groupes de femmes et
d'hommes, engagés dans le développement de leurs communautés, que nous
essayons de répondre avec nos ateliers de formation.

A travers ces ateliers, nous cherchons à questionner avec les
participants la problématique de la violence, telle qu'elle s'inscrit au
coeur de la réalité haïtienne. Une réflexion dont, soit dit en passant,
les sociétés occidentales ne pourront pas faire encore très longtemps
l'économie.

L'écoute et le partage
Avec humilité, nous sommes conscients qu'il n'y a pas de 'recettes'
toutes faites, pas de route tracée."Il n'y a pas de chemin vers la Paix.
La Paix, c'est le chemin", a dit le Mahatma GANDHI.

Quand la Fondation 30 Septembre, une organisation encadrant les victimes
du Coup d'Etat de 1991, nous demande d'animer un atelier pour explorer
des pistes d'actions non-violentes dans la lutte contre l'impunité, nous
sommes conscients d'en savoir beaucoup moins que les participants sur le
sujet.

Manifestation de la Fondation 30 Septembre(1998-1999) - 13.5 ko
Manifestation
de la Fondation 30 Septembre
(1998-1999)

Nous avons certes lu sur GANDHI et la Satyagraha (littéralement, 'force
de la vérité', philosophie et méthode d'action non-violente développée
par Gandhi en Afrique du Sud puis en Inde), ainsi que sur Martin Luther
King et le Mouvement des Droits Civiques. Mais face à des militants de
longue date, qui ont parfois souffert de la répression dans leur âme ou
dans leur chair, il est évident que nous n'avons aucune légitimité pour
dire : 'Vous devriez faire cela'.

Ce que nous pouvons faire, c'est nous mettre à l'écoute de ces gens, et
utiliser des techniques d'animation participative pour valoriser, mettre
en forme et synthétiser leurs savoirs et leurs expériences, afin de leur
permettre de formuler plus facilement des solutions.

Au coeur des méthodes participatives, on trouve la notion de partage.
Partage des expériences, des opinions, de la créativité de chacun à
travers des processus collectifs. Les outils mis à contribution sont
divers : jeux pour créer un climat de confiance, ou pour apporter un peu
de détente ou de dynamisme selon les moments ; activités de théâtre pour
vivre des situations et leur trouver des solutions créatives, ou pour
disposer d'une expérience immédiate à analyser ; différentes formes de
réflexion en groupe...

Les participants, pour la plupart membres d'organisations de base, sont
généralement rompus à la pratique du 'brase lide', version créole du
'brainstorming' anglo-saxon. A travers des activités comme le dessin,
les 'sculptures humaines, les chants, etc., nous proposons de nouveaux
moyens d'expression qui stimulent la créativité.

Quelque part, en chemin vers ces solutions que nous cherchons pour une
société plus harmonieuse, se développent des attitudes qui contribuent
de façon décisive à l'objectif visé.

En cherchant comment gérer les conflits de voisinage, ou ceux liés à la
gestion d'un projet de développement, nous produisons des idées, des
opinions qui s'opposent, se confrontent, puis s'accommodent pour se
compléter à travers une synthèse plus riche que la somme des idées
originales. On retrouve là le schéma parfait de la gestion coopérative
des conflits.

Le partage comme principe fondamental
Les méthodes pédagogiques participatives n'opposent pas un formateur qui
sait tout, et une assemblée d'élèves à qui la Vérité va être révélée. Le
processus intègre au contraire les contributions de chacun dans
l'édification d'un savoir collectif. Il s'agit donc un peu d'une
'auberge espagnole', où les convives dînent en partageant ce que chacun
a apporté.

Et en parlant de repas ... Le Projet PBI Haïti surprend souvent un peu
en demandant a l'organisation bénéficiant d'un atelier de prendre en
charge les repas, et si possible l'hébergement des animateurs
(généralement un volontaire PBI et un formateur haïtien). D'autres
organisations internationales, réalisant un travail comparable en Haïti,
prennent en charge les participants pour toute la durée des ateliers.
Elles sont généralement plus fortunées. Cependant, notre démarche n'est
pas uniquement dictée par des considérations financières. Elle repose
sur l'idée qu'une formation à la gestion positive des conflits, ou aux
méthodes participatives, contribue au développement d'une communauté, et
qu'il est donc normal que celle-ci réalise un investissement, même
modeste, pour en bénéficier. En ce sens, le partage tel que nous
l'entendons consiste à refuser de considérer les gens comme des
assistés.

Parler de partage, cependant, c'est surtout évoquer les nouvelles
perspectives qui s'ouvrent sur un thème, à chaque fois que nous le
traitons avec un groupe différent. Le même module de formation produira
toujours des idées différentes, de nouveaux commentaires issus de
l'expérience quotidienne des participants, de leur vision du monde. Face
à ces groupes de femmes et d'hommes, nous avons, formation après
formation, le privilège de recevoir toujours plus, et de découvrir
progressivement la réalité haïtienne dans sa complexité, ses conflits et
ses contradictions, mais surtout dans sa richesse et son originalité.

© Bwabrilé, 29 octobre 2005.

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