HAITI DANS LE VILLAGE GLOBAL

HAITI DANS LE VILLAGE GLOBAL
Mis en ligne le 29 octobre 2005.

J'ai écrit cet article en Avril 1998 pour le Numéro 10 du Bulletin du
Projet Haïti des Brigades de Paix Internationales (PBI), une ONG au sein
de laquelle j'ai travaillé pendant un an comme Formateur et Chef de
Projet.

Parler de mondialisation lorsque l'on vit en Haïti n'est pas toujours
facile. Dans le pays En Dehors (le monde rural), la vie quotidienne est
rythmée par le temps qu'il fait et son influence sur les récoltes, et
par des traditions qui rappellent les origines africaines de la
population, ou la France du XVIIIème siècle, du temps de 'la Colonie'.
Les mouvements du Dow Jones et le développement d'Internet semblent bien
loin...

Scène rurale - 8.4 ko
Scène rurale

Et pourtant. Les signes du monde global sont présents, même dans les
mornes les plus isolés. Le logo d'une célèbre marque de vêtements de
sport, reproduit plus ou moins habilement sur des chemises bon marché,
les véhicules tous-terrains dernier cri qui passent à pleins gaz sur les
routes mal empierrées sont des signes que le monde va de plus en plus
vite, et qu'Haïti n'échappe pas à cette danse. Aujourd'hui, le facteur
le plus important de l'intégration d'Haïti dans le concert mondial est
incontestablement la forte présence de la communauté internationale et
des nombreuses institutions penchées au chevet de la société et de
l'économie du pays. Dans les principaux quotidiens que l'on peut lire à
Port-au-Prince, organisations internationales et ONG représentent la
plupart des offres d'emplois. Les effets de cette présence, diversement
appréciée par les Haïtiens, sont tangibles : hausse des loyers,
changement des mentalités...

Bateau sur la côte des Cayes - 19.4 ko
Bateau sur la côte des Cayes

La liberté dans le dénuement

Le monde rural haïtien a réussi jusqu'à présent à repousser les diverses
tentatives de « mise en valeur » pour le compte du commerce
international. Les cultures de rente comme la canne à sucre, le vétiver
ou le sisal n'ont pas pu se faire une place significative à côté de la
production vivrière, à la différence de la République Dominicaine ou des
pays d'Amérique Centrale, devenus des 'jardins tropicaux' au service des
économies du Nord qui s'y approvisionnent en sucre, bananes, etc..

Transports en commun - 21.6 ko
Transports en commun

En dépit des efforts des gouvernements successifs, et depuis
l'Indépendance en 1804, les paysans haïtiens ont globalement refusé le
salariat et le système des plantations pour développer une agriculture
de subsistance qui s'est étendue jusqu'aux régions marginales et
reculées, notamment les massifs montagneux. Créant de fait une économie
peu monétarisée et frugale, basée sur la solidarité, ils se sont tenus à
l'écart de ce qui pouvait de près ou de loin ressembler à une société de
consommation.

Haïti mondialisée pour le pire...

Aujourd'hui, Haïti semble n'avoir à proposer sur le marché mondial que
sa main d'oeuvre, habile et très bon marché, pour les entreprises
multinationales du textile et de l'équipement. Celles-ci recourent
généralement à des sous-traitants locaux installés pour la plupart dans
la zone industrielle de Port-au-Prince. Les conditions de travail dans
ces ateliers sont souvent révoltantes (voir Bulletin N°7), les
employeurs profitant de la misère ambiante. La faiblesse chronique de
l'appareil d'Etat et son manque de contrôle sur l'ensemble du territoire
attirent par ailleurs d'autres acteurs sans scrupules. Haïti est ainsi
devenue depuis le début de la décennie 80 une plaque tournante du
narcotrafic en provenance de l'Amérique du Sud, et à destination des
Etats-Unis et de l'Europe. Les fréquentes saisies de cocaïne à
l'aéroport international ou sur les côtes méridionales ne peuvent donner
qu'une idée de l'importance des flux.

... et pour le meilleur ?

Parler de l'internationalisation d'Haïti, c'est aussi évoquer les
milliers de jeunes femmes et hommes qui, depuis l'époque de la dictature
des Duvalier et jusqu'à présent, sont partis chercher fortune ailleurs.
Souvent munis d'une bonne formation, ils ont, par cet exode pas toujours
choisi, contribué à priver le pays de la classe moyenne entreprenante
qui lui fait aujourd'hui cruellement défaut. Penser qu'il y a par
exemple plus de médecins ou d'infirmières haïtiens au Canada que dans
leur pays d'origine donne la mesure du préjudice. La baisse du prix du
transport aérien, les facilités des transferts de fonds font aujourd'hui
de cette communauté haïtienne de l'étranger (on parle de « Dixième
Département », ou des 'Diasporas') un facteur économique décisif, par
leurs investissements au pays, ou par les activités qu'ils y développent
à leur retour. L'impact de cette communauté sur l'économie locale n'est
cependant pas que positif. Du fait de l'importance de leurs revenus, ils
contribuent à la hausse des prix (logement, services...), et profitent
facilement d'opportunités convoitées, parfois depuis des années, par
ceux qui sont restés au pays (emplois, achats de terrains...)

L'aéroport TOUSSAINT LOUVERTUREde Port-au-Prince - 16.5 ko
L'aéroport TOUSSAINT LOUVERTURE
de Port-au-Prince

Ainsi, le boom actuel de la construction immobilière, qui a connu une
croissance de 60% sur les six dernières années, selon les chiffres
officiels, doit pour l'essentiel être mis à l'actif de ces 'Diasporas',
qui bâtissent en prévision de leur retour, ou pour se constituer un
capital sur place. De nombreuses entreprises de services, que ce soit
dans l'informatique, la formation ou le commerce, participent de ce
mouvement. Le retour d'individus bien formés, disposant d'un capital et
à même de prendre des postes à responsabilités, est parfois perçu comme
une concurrence déloyale par les Haïtiens restés sur place. Cependant,
comme le montre l'exemple de la diaspora chinoise en Asie du Sud-Est,
ces quelques voix ne pourront que contribuer à ce qu'Haïti participe
pleinement au concert mondial.

© Bwabrilé, 29 octobre 2005.

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