HAITI, 1999
Mis en ligne le 19 avril 2005.
Port-au-Prince, Septembre 1999
Les victimes du Coup d'Etat de 1991 manifestent
Mercredi 29 Septembre, 11 heures 30 - Place des Martyrs, Port-au-Prince,
Haïti, W.I. - Un an après, ils sont toujours là. De passage en Haiti, je
retrouve les memebres de la Fondation 30 Septembre avec qui j'ai tissé
des liens en 1998, alors que j'étais volontaire des Brigades de Paix
Internationales.
Des femmes, des hommes, quelques enfants qui tournent,
imperturbablement, sur le terre-plein autour du monument à la mémoire
des victimes du Coup d'Etat du Trente Septembre 1991. Et il ne suffit
pas de dire qu'ils sont toujours là un an plus tard. Ces gens, marqués
dans leur chair par la brutalité de la répression ou parents de
victimes, sont venus chaque mercredi, de onze heures à douze heures,
depuis Octobre 1997. Chaque mercredi, quelle que soit la force de la
pluie, quelle que soit l'ardeur du soleil qui, réfléchi sur le béton,
devient, à l'approche de midi, presque aveuglant. Semaine après semaine,
le centième mercredi se rapproche. Quelques uns se sont découragés en
cours de route mais, à l'exemple des Mères de la Place de Mai venues
d'Argentine en Août 1998 pour apporter leur soutien, ces femmes et ces
hommes savent qu'ils s'inscrivent dans la durée. Il est certain que,
depuis les fenêtres du Palais National, à quelques centaines de mètres
de là, on peut les voir. Et ils comptent bien manifester ainsi jusqu'à
ce que justice leur soit rendue.
Manifestants sur la Place des Martyrs - 155.6 ko
Au soir du 29 Septembre 1991, dans les heures suivant le Coup d'Etat du
Général Raoul Cédras, les partisans du Président Aristide s'étaient
rendus en masse aux abords du Palais National, ou autour de sa résidence
privée de Tabarre, pensant pouvoir empêcher le coup de force par leur
mobilisation, comme ils avaient empêché la tentative de Roger Lafontant,
fin 1990. La riposte des Forces Armées, planifiée, fut terrible. Des
commandos embusqués firent un véritable carnage dans les rangs des
manifestants désarmés, initiant un régime de terreur qui devait durer
trois ans et faire entre 3 et 5 000 victimes. Huit ans après le Coup
d'Etat, cinq ans après le retour à l'ordre constitutionnel, l'impunité
dont bénéficient aujourd'hui les bourreaux qui ont sévi pendant les
trois années du régime de facto laisse aux victimes comme un goût amer.
Songer que, pour les milliers de cas de violation des Droits Humains
documentés tant par le système judiciaire haïtien, par les organisations
civiles que par les institutions internationales, un seul procès s'est
conclu par la condamnation d'un tortionnaire, l'an dernier, dans la
ville des Cayes, au sud du pays.
Tout autour du monument dédié aux victimes, la Fondation Trente
Septembre, qui regroupe plusieurs organisations de victimes du Coup
d'Etat, a mis en place une exposition de photos présentant les
tortionnaires, leurs victimes aux visages tuméfiés, les cadavres lâchés
en pleine rue, les moments de violence qu'a connu Port-au-Prince. Sur
les clichés de militaires ou de miliciens du FRAPH (« Front
Révolutionnaire pour l'Avancement et le Progrès d'Haïti », une des
principales organisations pro-putschistes), les visages, banals, les
poses, qui se veulent martiales ou menaçantes, n'ont rien de très
impressionnant et n'évoquent guère la terreur qu'ils ont fait régner
pendant ces trois années de plomb. L'étranger en serait presque réduit à
faire appel à son imagination, s'il n'y avait les témoignages de ceux
qui ont perdu un bras, une jambe ou leur visage, de ceux dont le père,
la sœur, le compagnon ont disparu dans une de ces nuits de violence
aveugle. Les photos des victimes sont de celles que l'on expose sur les
étagères, dans les intérieurs modestes mais coquets des quartiers
populaires de Port-au-Prince. Des personnes jeunes souriantes, vêtues de
leurs meilleurs habits, posant devant un décor en trompe-l'œil. Ce sont
(c'étaient) des animateurs sociaux, des moniteurs d'alphabétisation, des
militants qui, dans leur quartier, s'étaient engagés « pou bagay yo
chanje pou tout bon vre » (pour que les choses changent pour de bon). Ce
sont ces gens, à la fois volontaires et vulnérables, que la répression
du Général Cédras a ciblés en priorité, même si des personnalités comme
Guy Malary, Ministre de la Justice, les frères Georges et Antoine
Izméry, hommes d'affaires d'origine syrienne, partisans d'Aristide, ou
encore le Révérend Père Jean-Marie Vincent, sont également tombés sous
les balles.
Exemple des pancartes en Creole - 125.7 ko
Exemple des pancartes en Creole
Ce que disent les pancartes des manifestants : "5000 morts ne sont pas
5000 chiens" ; "Mettons fin à la violence pour que la Paix danse"...
Ce que montrent ces quelques photos, mieux que les analyses des
politologues, c'est que la répression des années 1991-1994 a été une
tentative délibérée d'assassinat de l'idéal démocratique haïtien, un
effort désespéré et infiniment brutal pour tenter de remettre au pas
toute une fraction de la population qui accédait à l'espace politique en
demandant plus d'équité, une amélioration de ses conditions de vie et de
nouvelles perspectives. « Tout moun se moun », « Aba lavi chè », « Yon
lavi moyò » (Chaque personne est une personne, A bas la vie chère, Une
vie meilleure)... Ces slogans n'ont jamais été la propriété d'aucun
parti. Ils exprimaient, et expriment encore, l'espoir du peuple haïtien
de vivre mieux dans un pays qui, malgré des problèmes qui peuvent
paraître insondables, surprend, au détour d'un regard, d'un paysage ou
d'une musique, par sa beauté indiscutable.
Monsieur Lovinsky PIERRE-ANTOINE - 92.9 ko
Monsieur Lovinsky PIERRE-ANTOINE
Ce mercredi, malgré le soleil implacable, la foule est compacte qui
contemple et commente les photos exposées. Les vêtements défraîchis et
dépareillés côtoient quelques tenues élégantes et, le temps d'une
commémoration, les barrières sociales s'estompent. Les marchands de jus,
de bananes frites, de chapeaux, sont venus glaner quelques clients. La
vie continue parce qu'elle doit continuer, combat quotidien pour assurer
le repas familial, mais elle ne saurait exclure la mémoire.
CODA
Six ans plus tard, il est bien trop tot pour dire que la question de la
Justice en Haiti a trouve une reponse satisfaisante. Les "rebelles" qui
ont contribue au depart du President ARISTIDE debut 2004 etaient dans
leur majorite d'anciens militaires et personnages lies au regime du
General CEDRAS.
Les militants de la Fondation 30 Septembre, lies a l'espoir democratique
de 1990, ont choisi de faire profil bas. Certains assassins et
tortionnaires ont ete absous, a priori pour 'services rendus" a ceux qui
ont salue la fin du Regime ARISTIDE.
Lovinsky PIERRE-ANTOINE s'est, pour sa part, refugie aux Etats-Unis.
© Bwabrilé, 19 avril 2005.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire