Discrimination Positive : De qui se moque-t’on ?

Discrimination Positive : De qui se moque-t'on ?
Mis en ligne le 9 mai 2006.

DISCRIMINATION POSITIVE : DE QUI SE MOQUE T'ON ?

Ça y est ! Les écrans français, longtemps accusés de frilosité, se
colorent progressivement.

- Duo de charme pour l'information

Après l'arrivée de Christine KELLY sur le cable (LCI) en 2000, la
tendance s'est poursuivie avec Audrey PULVAR sur FRANCE3, pour le
Journal de la Nuit en Septembre 2004 puis le "19/20" en 2005.

Christine KELLY et Audrey PULVAR - 17.5 ko

Christine KELLY et Audrey PULVAR
"Je ne me considère pas comme un symbole même si je sais que certaines
personnes se sentent représentées à travers moi. J'en suis très flattée
et j'espère ne pas les décevoir. Audrey Pulvar à Grioo.com

"Je ne me considère pas comme un symbole même si je sais que certaines
personnes se sentent représentées à travers moi. J'en suis très flattée
et j'espère ne pas les décevoir. Audrey Pulvar à Grioo.com

Alors que ces nouveaux visages (nouveaux pour les habitants de
l'Hexagone, puisque Christine KELLY et Audrey PULVAR ont eu des
carrières significatives en Guadeloupe et en Martinique, respectivement)
semblent correspondre à des revendications de longue date pour la
visibilités des minorités sur les écrans de télevision, le phénomène est
plus complexe.

La polémique intervient début Février 2006, quand TF1 annonce l'arrivée
de Harry ROSELMACK comme remplaçant de Patrick POIVRE D'ARVOR pendant
l'été. Le 20 heures de TF1, journal le lus regardé de France, messe
médiatique s'il en fut, présenté par un Noir. Le symbole vaut ... son
pesant de cacahuètes !

- Le cas "ROSELBLACK" : de qui se moque-t'on ?

Harry ROSELMACK - 4.3 ko

Harry ROSELMACK
Le visage préféré des ménagères de moins de 50 ans

Il ne s'agit pas ici de minimiser la réussite de professionnels
aguerris, arrivés à des positions très enviées par le landernau
mediatique. Le problème est que ces nominations passent sous le vocable
nouvellement porteur de "discrimination positive", les journalites en
question ayant, selon leurs promoteurs, valeur de symbole.

Le choix de Harry ROSELMACK, par exemple, fut présenté par Etienne
MOUGEOTTE, Vice-Président de TF1 comme "le symbole ultime [serait-ce à
dire le dernier présentateur "de couleur" à être recruté avant la
fermeture des quotas ?] de la diversité que la chaîne entend promouvoir
dans ses programmes".

Le Ministre de l'Intérieur Nicolas SARKOZY, promoteur de la
discrimination positive et un des premiers à être informé du choix de
Harry ROSELMACK par TF1, en fit même un outil politique pour tenter de
créer un climat favorable pour sa visite dans les Antilles en Février
2006.

De qui se moque-t-on ? Selon un sondage paru en décembre 2005, les
journalistes-présentateurs masculins préférés des français sont Harry
ROSELMACK ( pour 21.6% des interrogés), Patrick POIVRE D'ARVOR (16.17%)
et Davis PUJADAS (11.98%), Thomas HUGUES (10.99%) arrivant en cinquième
position.

La validation d'un professionalisme évident

Après une carrière en radio sur MEDIA TROPICAL puis FRANCE INFO (où sa
voix posée ne recevait pas l'appui d'un physique avantageux) Harry
ROSELMACK a commencé sa carrière télévisée au sein du Groupe CANAL PLUS
pour présenter le journal sur I>Télé puis sur CANAL PLUS (en clair). En
quelques années, le jeune présentateur a su s'imposer comme un des
visages préférés des téléspectateurs français (de quoi faire mentir les
responsables qui, pendant des décennies, justifiaient leur frilosité par
le fait que "le public accepterait difficilement").

Christine KELLY avait 8 années d'expérience de la télévision comme
jouraliste sur des chaînes privées puis RFO en Guadeloupe, puis sur
diverses stations régionales de FRANCE 3 avant son embauche par LCI en
2000.

Audrey PULVAR est sortie major de sa promotion de l'Ecole de Journalisme
de Paris en 1994. Des années d'expérience et de responsabilités sur ATV
en Martinique puis LCI, TV5 et diverses stations régionales de FRANCE 3
l'ont préparée à présenter le Journal de la Nuit depuis Septembre 2004
puis maintenant le 19/20 sur FRANCE 3. où ses interviews incisives
provoquent quelques sueurs froides chez les hommes politiques.

Il ne s'agit pas ici de discrimination positive, de compensation après
des années d'injustice et d'exclusion (des "personnes de couleur" ont
été présentes sur les écrans français depuis les années 60). Parler de
discrimination positive alors qu'il est en fait question de
reconnaissance du mérite professionnel de journalistes répondant aux
"canons" de la télégénie est pour le moins dangereux.

La Réaction amère de Thomas HUGUES, remplacé par Harry ROSELMACK sur TF1
laisse planer comme un malaise. Un professionnel reconnu, il n'a pas
démérité voit son parcours profondément altéré pour des raisons sur
lesquelles il n'a aucune prise. On pourrait dire a priori que ce n'est
pas de sa faute s'il n'est pas "de couleur", même si plus profondément
les hommes de Marketing de TF1 ont fait leur choix parce que Harry
ROSELMACK a davantage ... de sex appeal. ROSELMACK est en effet classé
premier et HUGUES, cinquième, dans le sondage sus-memtionné.

- La fiction : nouveau front pour la diversité ?

En annonçant enfin "une politique volontariste dans le domaine de la
fiction", Etienne MOUGEOTTE semble ouvrir une porte vers la solution de
quantité de problèmes identitaires de la population française. Une
population qui, en ces temps de globalisation triomphante, peine encore
à se percevoir et se penser comme diverse et riche de tous les souffles
du monde.

Si le mouvement est entamé par TF1, il devra également être suivi par
FRANCE TELEVISION, dont la programmation et la politique de fiction,
hormis quelques concessions convenues en période de commémoration,
renforcent les stéréotypes d'une France encore figée dans un image
d'Epinal.

Offrir aux membres des minorités des personnages et des histoires dans
lesquels ils pourront se projeter, sans pour autant que l'on ne cède aux
stéréotypes faciles aura avant tout l'avantage de endre un miroir
paradoxal dans lequel le téléspectateurs pourront se reconnaître dans
l'altérité.

- Le souvenir de MORTENOL manipulé ?

Lors d'un meeting politique en Guadeloupe en Février 2006, Nicolas
SARKOZY rappelle le parcours de Camille MORTENOL, un Polytechnicien
d'origine guadeloupéenne "qui n'a pas pu accéder aux plus hautes
responsabilités à cause de la couleur de sa peau". Et d'enchainer qu'il
a nommé trois préfets et six sous-préfets antillais, parce qu'il est
favorable à la discrimination positive.

On souffre encore avec Aïssa DERMOUCHE de l'embarras conféré par le
titre de "premier Préfet Musulman", dans le cadre d'un théâtre
politicien qui tenait surtout de la poudre aux yeux. Le fait pour le
Ministre de l Intérieur de dire que les hauts-fonctionnaires évoqués ont
été nommés "au titre de la discrimination positive" est un camouflet
cinglant pour des individus dont le parcours professionnel les destinait
de toutes façons aux postes qu'ils ont atteints. Parler ici de
discrimination positive, c'est masquer le mérite professionnel des
individus, fondement de l'esprit républicain.

La maneouvre ne mange pas de pain, d'ailleur, Au regard du CV des
intéressés, on comprend très rapidement que les intéressés étaient "dans
les tuyaux" pour la promotion annoncée en grande pompe.

Utiliser la carrière du Commandant MORTENOL pour illustrer des procédés
aussi douteux, c'est utiliser de façon cynique un mythe encore prégnant
dans la conscience guadeloupéenne.

Rien ne laisse en effet apparaître que MORTENOL (1859-1930), né de
parents ayant connu l'esclavage, ait vu sa carrière brisée ou retardée
par le racisme.

Le Commandant MORTENOL - 17.7 ko

Le Commandant MORTENOL

Entré à Polytechnique en 1880, Sosthène Héliodore MORTENOL (le nom de
Camille semble être celui d'un de ses jeunes frères, dont il utilisa la
fiche d'état civil pour contourner la limite d'âge), fils d'un ancien
esclave affranchi en 1948, fut le premier Noir à intégrer la
prestigieuse Ecole Polytechnique.. Passant en revue les troupes de
l'Ecole Polytechnique, le Président de la République Patrice de MAC
MAHON, célèbre pour la profondeur de ses remarques (dont le fameux "Que
d'eau, que d'eau !" au spectacle d'inondations à Paris) lui dit "C'est
donc vous le Nègre qui fait Polytechnique ? C'est bien mon ami,
continuez !"

Après une carrière dans la Marine de Guerre, qui le mena en Extrême
Orient et en Afrique, MORTENOL atteint Capitaine de Vaisseau en 1914.
Appelé par le Général GALLIENI, qu'il avait secondé à Madagascar,
MORTENOL fut tranféré à l Armée de Terre avec le grade équivalent de
Commandant. Responsable de la Défense Anti-Aérienne du Camp Retranché de
Paris, il fut promu au grade de Colonel avant la fin de la Guerre, et
nommé Commandeur de la Légion d'Honneur en 1921.

Le fait que la carrière de MORTENOL ne le conduisit pas au grade
d'amiral pèse comme une frustration sur le souvenir d'un symbole de l
promotion sociale par l'éducation. L'âge limite du passage au grade de
Colonel est de 58 ans dans l'Armée Française, sachant que pour arriver
au grade de Général, il "vaut mieux" être Colonel vers les 40 ans. La
rapidité de l'avancement de MORTENOL peut être analysée comme normale au
regard du parcours de ses camarades de promotion issus de milieux
populaires (à l'époque, de nombreux Polytechniciens chosissaient la
carrière des armes. De nos jours, ils sont si rares que les rares X à
choisir l'Armée de Terre sont quasiment certains d'arriver au grade de
Général).

Compte tenu de la pregnance de l'aristocratie dans la Marine de Guerre
Française (qui garde le surnom de "Royale" du fait des convictions de
ses officiers), il est probable que MORTENOL ne disposa jamais des
réseaux sociaux (par le mariage ou les loisirs) lui permettant d'assurer
une progression rapide. Il peut être compréhensible que son avancement
se soit limitée au grade de Colonel.

Rien dans le souvenir de ses capacités professionnelles ne semble le
désigner pour une carrière météoritique. Rien, si ce ne serait, aux yeux
de certains, le fait qu'il était Noir. Le souvenir du Général DUMAS,
dont le talent guerrier et le courage au combat le conduisit à un tel
grade assez jeune, pourrait suffire à jeter une nouvelle lumière sur le
cas.

© Bwabrilé, 9 mai 2006.

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