DE LA PART D'UN NEGRE...
Mis en ligne le 19 avril 2005.
DE LA PART D'UN NEGRE QUI NE VEUT PAS ETRE "BLACK",
(Ce texte est une tribune adressée début Avril 2005 aux principaux
quotidiens et hebdomadaires français. Le Nouvel Observateur en a publié
quelques fragments)
Surpris et choqué jusqu'à la nausée par le compte rendu des violences
qui ont émaillé les manifestations lycéennes des 15 Février et 8 Mars
dernier, me voilà, à l'insu de mon plein gré, entaché de soupçon. E
effet, ce sont des Noirs qui, ivres de revanche et de "francophobie",
ont massacré à coup de pied et de poings nos chères têtes blondes.
Entendons-nous bien. En employant l'expression "chères têtes blondes",
il s'agit pour moi de reprendre un cliché du langage social français,
dont les formulations dépassent parfois les intentions. Je suis, voyez
vous, Martiniquais. Et quand je dis "voyez-vous", c'est encore une
figure de style, puisque la chose est pour le moins évidente : je suis
un Nègre* martiniquais.
Il va sans dire qu'il faut condamner de façon catégorique la violence
imbécile dont été victimes des lycéens pleins de bonne volonté, pris à
partie par quelques voyous qui ont manifestement choisi d'être craints,
à défaut de ne jamais être pris au sérieux. Il va sans dire que la
violence de ces bourreaux, désormais stigmatisés par une pétition à
succès, s'est voilée de mauvaise foi en prenant prétexte de la
souffrance de prétendus ancêtres soumis à l'esclavage. Que cette
violence emprunte ainsi sa réthorique à un manipulateur aux motivations
troubles, qu'elle s'en soit pris aux plus faibles profitant de la
protection de la foule, démontre ad nauseam l'imbecilité, l'ignorance et
la faiblesse morale de la part de ses acteurs.
Et pourtant. La signature d'un ancien Ministre de la République sur une
pétition condamnant les "ratonnades anti-blancs", vaut son pesant de
sens sur la mise à jour douloureuse qu'effectue aujourd'hui notre
société. Les "bonnes gens" sont donc désormais encerclées par les
"Zoulous". Leurs chères têtes blondes se découvrent, avec un effarement
apeuré, "Blancs" et privilégiés, donc coupables d'une oppression que
leur innocence, leur ignorance et leur bonne volonté ne leur a pas
laissé soupçonner. On vous l'avait pourtant dit.
On vous a dit depuis plus de dix ans que dans les "quartiers sensibles",
les "grands frères" n'avaient plus l'écoute de leurs "petits frères", et
que ces derniers, découragés par les preuves quotidiennes de leur
marginalisation, se radicalisaient progressivement. Litanies de
travailleurs sociaux en manque de subsides, sur fond de hip hop.
On vous a dit depuis plus d'une décennie qu'en dépit de "l'égalité
républicaine", les diplômes ne garantissaient pas aux détenteurs n'ayant
ni le bon patronyme ni la bonne adresse postale l'ascension sociale
promise aux élèves méritants. Jérémiades de frustrés en quête de piston
facile.
On vous a dit que l'ascenseur social est bloqué et qu'au
rez-de-chaussée, les aspirants cadres moyens et employés modèles voient
péricliter leurs rêves de pavillon en banlieue arborée, monospace
turbo-diesel et vacances à la mer. (Parfaitement, Paris-La Baule en
Scenic turbo diesel, tous les rêves sont en partage, grâce à la
télévision !).
On peut comprendre qu'un ancien Ministre de la République, dont les
enfants d'âge scolaire ont peut-être participé aux manifestations
lycéennes de Février et Mars, se soit laissé aller à signer un appel
ambigu, jouant sur tous les registres de la peur et de la stigmatisation
raciale. Faut-il prendre cette signature comme le signe que la classe
politique française, qui s'y est jusqu'ici refusé, reconnaît enfin la
racialisation de la société française ?
Les beaux principes de l'égalité républicaine ont jusqu'ici refusé tout
communautarisme. Rappelez-vous les débats en demi-teinte sur la
"discrimination positive", dont le timide résultat a été un Préfet
peut-être toujours pas certain de savoir s'il a été nommé pour ses
compétences ou pour la portée symbolique de ses origines.
Et pourtant. Vous les avez voulus, vos "Blacks" ! Des "Blacks" comme à
Harlem ou a Compton, le crack en moins, on l'espère, et en version
française ! Les multinationale de l'entertainment, avec la complaisante
et parresseuse complicité des mass médias français, nous abreuvent
depuis des années de ces types à stéréo, rieurs et swingants, occultant
le débat nécessaire sur l'identité française. Personne n'avait plus
envie de discuter de l'identité d'une nation dont les fils sont nés sur
3 continents, une fois la télécommande en main. "Autant en emporte le
Vent" et les champs de côton, une pimbêche irlandaise à la place des
champs de canne des colonies françaises des Amériques. Shaka Zulu et les
soldats de sa Gracieuse Majesté à la place de Samory, Béhanzin et les
tirailleurs sénégalais de Koufra...
Sans vouloir les excuser, ces jeunes "Blacks" du "9-3", vulnérables
malgré leurs musculatures de kick boxers sont tombés dans le piège : A
ne pas savoir qui ils sont et quel est leur potentiel, ils se sont
laissés aller à revétir comme une identité et une armure les projections
qu'on leur a imposées depuis deux décennies. Entre imposer la peur et
susciter le respect, le choix ne sera désormais plus cornélien : La
pétition contre les "ratonnades anti-blancs" a sommé chacun de choisir
son camp. Les uns solderont leurs espoirs décus contre quelques instants
de violence imbécile et revancharde, les autres se retrancheront dans
des lotissements sécurisés, surveillés par des équipements dernier cri.
Messieurs les Français (quoi que cela puisse vouloir dire et quelles que
soient les questions restant en suspens sur ce thème), vous vouliez des
"Blacks" comme dans les feuilletons américains, vous voilà servis !
A vouloir ainsi identifier et donc marginaliser les enfants de
l'immigration africaine et antillaise, vous avez figé leurs parcours
d'intégration. Marginalisation sociale tout d'abord, en leur
interdisant, nolens volens, l'accès à l'emploi qualifié et au logement
hors des ghettos de banlieue. Marginalisation psychologique enfin, plus
insidieuse : je vous mets au défi de citer, sur les dix dernières
années, un personnage positif, dans les médias ou dans les fictions
télévisées auquel les jeunes d'origine africaine ou antillaises auraient
pu s'identifier, à l'exception bien sûr de quelques athlètes et artistes
arrivés au nirvana de l'audimat. A part les "Blacks" des séries US,
pourvoyeurs de rêves américains, rien ! On vous l'avait pourtant dit et
répété, notamment par les nombreux appels du Collectif Egalité de
Calixthe BEYALA.
Vous vouliez des "Blacks", vous êtes aujourd'hui servis ! A vous de voir
quoi faire avec ceux qui ne seront ni athlètes, ni footballeurs, ni
vigiles.
Alfred LARGANGE
* Nègre comme Léopold Sédar SENGHOR disait à son ami Aimé CESAIRE, dans
les couloirs du Lycée Louis-le Grand, il y a 70 ans : "Je suis Nègre, et
alors ?" La fortune du mot qu'ils créèrent alors, "Négritude" fut
ensuite mondiale.
© Bwabrilé, 19 avril 2005.
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