Colloque "Esclavage et Réparation" - Mai 1999

Colloque "Esclavage et Réparation" - Mai 1999
Mis en ligne le 17 août 2005.

Compte-Rendu du organisé par le Comité DEVOIR DE MEMOIRE

Mai 1999 - Fort-de-France, Martinique

Le 21 Mai, dans l'amphithéâtre du Conseil Régional de la Martinique
s'est tenu un colloque intitulé 'ESCLAVAGES ET REPARATIONS', organisé
par le Comité Devoir de Mémoire.

Des intervenants prestigieux, au nombre desquels Christiane
TAUBIRA-DELANON, Députée de la Guyane, Dudley THOMPSON, Suzy CASTOR ou
encore Howard DODSON, sont intervenu sur les deux notions centrales de
l'action du Comité DEVOIR DE MEMOIRE, à savoir la condamnation de
l'esclavage comme crime contre l'humanité, et la notion de réparations.
Des sujets qui sont l'objet d'un débat de plus en plus intense au niveau
international, et sur lesquels les participants sont intervenu avec
intelligence, avec conviction, et parfois avec passion...

Liste alphabétique des intervenants

* Suzy CASTOR (Haïti) - Historienne et chercheuse en Développement
économique et social, Directrice du CRESFED à Port-au-Prince.
* David COMISSIONG (Barbade) - Directeur de la Commission des
Affaires Panafricaines dans le gouvernement de Barbade.
* Serge CHALONS (Martinique) - Membre de Medecins du Monde Antilles,
et fondateur du Comité Devoir de Mémoire.
* Howard DODSON (Etats-Unis) - Directeur Général de la bibliothèque
et du centre de recherches sur les cultures du monde noir, le Shomburg
Center for Research in Black Culture, situé à New York, dans le quartier
de Harlem.
* Emmanuel JOS (Martinique) - Juriste, fondateur du Comité Devoir de
Mémoire.
* Bertène JUMINER (Guadeloupe) - Ancien Recteur de l'Académie
Antilles-Guyane.
* Dorothy KUYA (Grande-Bretagne) - Fondatrice du African Reparation
Movement, cette Anglo-Nigériane a mené de nombreux combats contre le
racisme et a contribué à la création d'un musée consacré à l'histoire de
l'esclavage et situé à Liverpool, premier port négrier britannique.
* Aldiouma SISSOKHO (Mauritanie) - Militant des Droits Humains en
exil, il lutte contre la persistance de l'esclavage dans son pays, la
Mauritanie.
* Christiane TAUBIRA-DELANON (Guyane) - Députée de la Guyane et
auteur de la loi aux termes de laquelle la France reconnaît l'esclavage
et la traite transatlantique et dans l'Océan Indien comme crimes contre
l'Humanité.
* Dudley Joseph THOMPSON (Jamaïque) - Juriste international, ancien
Ministre des Affaires Etrangères de la Jamaïque et Ambassadeur de son
pays auprès de divers Etats africains.
* André YEBAKIMA (Cameroun) - Président de Médecins du Monde
Antilles.

- I - Clarification des concepts avec Emmanuel JOS

Le colloque, après lecture d'un discours de M. Alfred MARIE-JEANNE,
Président du Conseil Régional de la Martinique, qui n'avait pu être
présent, s'est ouvert sur la lecture d'un texte de Emmanuel JOS, membre
du Comité DEVOIR DE MEMOIRE qui était également malheureusement absent.

En tant que juriste, Emmanuel JOS a clarifié dans un texte daté de
Février 1999 les trois concepts fondamentaux d'imputabilité, de
culpabilité et de responsabilité, nécessaires pour appréhender les
problématiques de la criminalisation de l'esclavage et de la réparation.

L'imputabilité est la capacité d'un individu à être identifié comme
l'auteur véritable d'une action. L'établissement de l'imputabilité d'un
fait à un individu ou une institution repose sur des preuves
irréfutables, et relève donc de l'investigation et de l'expertise,
historique en ce qui concerne les thèmes de l'esclavage et de la Traite.
Il s'agit d'un concept moralement neutre.

La question de la culpabilité soulève dès l'origine de nombreux débats,
dans la mesure où il n'y a culpabilité que si existe au préalable à
l'acte incriminé un interdit moral ou juridique. Selon certains, dans la
mesure où l'esclavage était 'socialement accepté', et organisé
juridiquement, il ne saurait y avoir de culpabilité des esclavagistes.
C'est, selon aux, au terme d'une longue évolution que les consciences
occidentales en sont arrivées à voir en l'esclavage un état de fait qui
ne pouvait perdurer. Le thème de la culpabilité est certainement celui
sur lequel l'argumentation des tenants de la criminalisation de
l'esclavage a la plus forte composante éthique et philosophique. Ils
considèrent en effet que, quelque soit le lieu ou l'époque, l'être
humain a des valeurs de base qui le poussent à rejeter les atteintes à
la dignité de son semblable. On en veut pour preuve d'une part que de
tous temps des voix se sont élevées pour condamner l'esclavage, et
d'autre part que les promoteurs de cette institution ont dû se livrer
constamment à une entreprise de justification religieuse,
anthropologique, philosophique, etc.

La responsabilité, enfin, capacité d'un individu ou d'une institution à
répondre de soi-même, de ses actes ou de ceux que l'on a en charge, est
in fine la capacité à assumer les conséquences des fautes et dommages
commis et à prendre en charge leur réparation. Quand on se focalise sur
la problématique de la Traite et de l'esclavage, on entend par
réparation que les responsables politiques des populations concernées
par l'esclavage (descendants des bénéficiaires comme des victimes)
doivent assurer le développement économique, social et culturel des
populations lésées historiquement par cette institution.

- II - Bertène JUMINER : Impostures et pièges de la notion de
réparation

Président de la première séance de travail, Bertène JUMINER a commencé
par mettre en relief les impostures auxquelles peut donner lieu le
concept de réparation. Première imposture, historique, quand la
réparation a partout bénéficié aux anciens propriétaires d'esclaves,
généreusement indemnisés, mais jamais aux victimes de l'esclavage, qui
ont souvent dû acheter leur liberté . Deuxième imposture, celle de ceux
qui entendent faire de la réparation une affaire strictement financière.
Bertène JUMINER a en effet mis l'accent sur le fait que, dans la mesure
où le Code Noir considérait les esclaves comme des meubles, le fait de
limiter la réparation à un paiement correspondant à une estimation
pécuniaire du préjudice constitué par la privation de liberté subie par
un homme, équivaut à retomber dans cette logique marchande. Il est donc
nécessaire d'être extrêmement vigilant dans l'élaboration des politiques
de réparation, pour ne pas tomber dans un tel travers.

- III - Dorothy KUYA : L'African Reparation Movement

Dorothy KUYA, Britannique née de père nigérian, a présenté aux
participants au colloque l'histoire de l'African Reparation Movement,
notamment à travers les résolutions du Congrès d'Abuja (Nigéria) en
1993. A cette date en effet, les délégations de 30 pays africains et
européens, ainsi que des diasporas noires se sont réunies pour organiser
le Mouvement Africain de Réparation, lequel a fixé quatre thèmes pour
l'articulation des revendications de réparations :

* Excuses officielles présentées par les anciens pouvoirs coloniaux.
Cette revendication se base sur de nombreux exemples, notamment les
excuses faites par la Reine Elizabeth II à la population Maori de
Nouvelle Zélande.

* Annulation de la dette du Tiers Monde, qui constitue un fardeau
dont les peuples africains ne sont pas responsables (elle a été
contractée par des régimes dictatoriaux et corrompus), et qui empêche
leur développement. Un exemple frappant est que l'Ouganda dépense
aujourd'hui plus pour le service de sa dette que pour l'éducation et la
santé de sa population.

* Création d'un fonds pour le développement des infrastructures, le
transferts de technologie et l'éducation au bénéfice des populations
africaines et de la diaspora.

* Restitution du patrimoine artistique et culturel, notamment les
objets volés en Afrique et détenus par les musées européens (Dorothy
KUYA a notamment parlé des bronzes du Bénin exposés dans les musées
britanniques).

Voir le Site Internet de l'African Reparation Movement :
http://the.arc.co.uk/arm

- IV - Suzy CASTOR : Haïti et l'invention de la dette du Tiers Monde

Eminente historienne haïtienne, Suzy CASTOR a commencé son intervention
en déclarant que le colloque organisé par le Comité Devoir de Mémoire
était l'occasion de retrouver deux mémoires, celle de l'esclavage mais
aussi celle de la résistance à l'oppression, et de projeter une lumière
nouvelle sur les processus contemporains, en montrant comment
l'esclavage et les conditions de son abolition ont déterminé l'évolution
ultérieure des sociétés caribéennes. L'exemple d'Haïti est à cet égard
édifiant.

La révolte de 1791, commencée avec la cérémonie de Bois Kayman, a été la
véritable abolition de l'esclavage en Haïti, abolition réelle seulement
'enregistrée' par la proclamation de la Convention en 1794. La suite des
événements est connue : la tentative de reprise en main du pays et de
rétablissement de l'esclavage par Napoléon s'est soldée par une défaite
cuisante des troupes françaises, et la naissance, le 1er Janvier 1804,
de la première République Noire de l'Histoire.

Dès le départ, les métropoles colonialistes et esclavagistes ont cherché
à contrecarrer les projets révolutionnaires et potentiellement
contagieux d'Haïti, en décrétant un embargo. Menacée d'invasion, la
nouvelle république a dû consacrer des ressources considérables à
l'entretien d'une armée de 50 000 hommes et à la construction de
fortifications dont la plus célèbre est la Citadelle de Milot, dans le
Nord du pays, bâtie par Henri Christophe. Toutes les ressources
consacrées à l'effort militaire ont fait défaut au nécessaire effort de
développement d'un pays ruiné par sa guerre de libération.

Le 5 Juillet 1825, le Président haïtien Boyer, signant un accord avec le
Roi Charles X, croit établir les bases d'un avenir plus serein. Mais la
reconnaissance diplomatique d'Haïti par la France, qui 'concède' au pays
son indépendance, a un prix : 150 Millions de Francs de l'époque pour
indemniser les colons expulsés et les familles des Français tués pendant
la guerre. 150 Millions, une somme faramineuse, surtout si l'on
considère qu'alors, le budget annuel de la France, pays riche et peuplé
de 25 Millions d'habitants, est de 30 Millions de Francs...

Les finances haïtiennes étant dès le départ subordonnées à cette dette
écrasante, toute possibilité de développement du pays a été annulée,
puisque la quasi-intégralité des ressources nationales (exportations de
café...) ont été aspirées par la France et par les nombreuses banques
privées qui ont avancé à Haïti de quoi faire face aux premières
échéances. Même renégociée à la baisse (75 Millions) et rééchelonnée, la
dette initiale ne sera payée intégralement qu'en 1888. A cette date,
d'autres dettes ont bien entendu été contractées, et la Banque Centrale
haïtienne est passée sous le contrôle de banques privées européennes ou
états-uniennes. En 1915, les forces américaines débarquent pour prendre
le contrôle des douanes et des finances. Ils resteront jusqu'en 1934 et
mettront en place une nouvelle armée haïtienne qui leur restera inféodée
jusqu'à sa dissolution en 1995.

La dette, Suzy CASTOR le démontre, est donc un élément central de
l'évolution des pays du monde, aussi bien pour ceux qui la paient que
pour ceux qui en bénéficient. 'La notion de réparation, dit-elle,
implique la connaissance des faits, et la condamnation de ces faits'.

- V - Dudley THOMPSON : La réparation comme héritage moral

Avec son béret noir (aucune référence, selon lui, aux Black Panthers !)
et son verbe haut en couleur, le Jamaïquain Dudley THOMPSON a été
incontestablement une des figures les plus marquantes du colloque.

Selon lui, la réparation ne doit pas être comprise comme une transaction
commerciale, mais bien comme la compensation que doivent verser ceux qui
ont commis un véritable crime à ceux qui en ont été victimes.
L'esclavage correspond à plusieurs crimes identifiables : enrichissement
illégal, kidnapping massif... La conséquence en a été une polarisation
des sociétés post-esclavagistes, polarisation qui s'est transmise de
génération en génération.

Si 20 Millions de Livres Sterling ont été versées aux propriétaires
britanniques d'esclaves lors de l'abolition de 1834, rien n'a été fait
pour ceux qui ont subi le réel préjudice. Rien n'a été fait depuis
l'abolition pour limiter les profonds traumatismes et inégalités imposés
par l'esclavage dans les sociétés post-esclavagistes, ce que Dudley
THOMPSON résume dans une formule percutante : 'The books have never been
closed, because the debts have not been paid'. Les livres de comptes ne
sont pas fermés, parce les dettes n'ont pas été payées.

L'idée de base du concept de réparation est que si la culpabilité d'un
tel crime n'est pas transmissible, la responsabilité, elle, doit passer
de génération en génération. Il serait normal que les populations des
pays industrialisés, qui reçoivent les richesses morales,
intellectuelles et économiques de leurs ancêtres, en acceptent également
les dettes. George WASHINGTON et Thomas JEFFERSON, figures emblématiques
s'il en fut de l'histoire des Etats-Unis, possédaient des esclaves. Si
leur héritage philosophique et politique est transmis, il doit en aller
de même de leur héritage négatif. De même que les Noirs se transmettent
de génération en géération les stigmates des traumatismes
de ,'esclavage, les Blancs doivent se transmettre la responsabilité.

De ce point de vue, la réparation doit s'appuyer sur un transfert massif
de capital et de technologie, un véritable 'Plan Marshall' pour
l'Afrique, mais aussi sur une reconnaissance par les coupables de leur
responsabilité. Encore une fois, le concept de réparation ne se base pas
à l'origine sur une dette de nature économique, mais morale. Dudley
THOMPSON s'est fait l'avocat de l'effacement de la dette du tiers Monde,
qui empêche tout développement des pays qui la subissent. Une telle
opération ne correspondrait d'ailleurs au coût que d'un mois
d'opérations de l'OTAN au Kosovo.

- VI - Howard DODSON : Evaluer financièrement le préjudice

Venu des Etats-Unis, Howard DODSON a commencé par présenter aux
participants au colloque les salutations de diverses organisations
états-uniennes qui travaillent sur le thème de l'esclavage, ainsi que de
la population de Harlem, où est situé le centre de recherches qu'il
dirige, le Shomburg Center for Research in Black Culture.

Sa réflexion sur l'évaluation économique de l'esclavage et de la traite
repose sur le fait qu'aujourd'hui, les conséquences de ces crimes se
font toujours sentir aux Amériques et en Afrique, et continuent à
enrichir les descendants des coupables en même temps qu'elles
appauvrissent les descendants des victimes. Dans la mesure où la
situation de la population Afro-Américaine découle de l'esclavage,
l'objectif de la réparation est de l'amener au même niveau que le reste
de la population des Etats-Unis, ce qui implique (de façon non
limitative) un transfert économique.

Howard DODSON a ensuite présenté quelques données destinés à 'chiffrer'
le préjudice.

Entre 1492 et 1776, soit pendant les trois premiers siècles de
colonisation des Amériques, 6,5 Millions de personnes sont passées de
l'Ancien au Nouveau Monde, dont 5,5 Millions d'Africains. Ce simple
chiffre remet en question la notion même de colonisation 'européenne'
des Amériques, et montre bien que l'essentiel de ce qui a été fait aux
Amériques du point de vue économique l'a été par les Africains, et ce
dans des conditions de travail gratuit.

Des chercheurs Afro-Américains estiment que la valeur du travail
non-rémunéré des esclaves aux Etats-Unis, entre 1790 et 1865, peut être
estimée entre 448 et 995 Milliards de Dollars, ramenés à la valeur
actuelle de ce travail. S'il s'agit d'estimer le prix de l'esclavage aux
Etats-Unis, il convient de réaliser une actualisation de ces sommes, à
travers les taux d'intérêt. On aboutit à une estimation de l'ordre de 9
000 Milliards de Dollars (le PIB des Etats-Unis en 1997 est de 7824
Milliards de Dollars).

Il convient également, pour établir une juste évaluation du préjudice
économique constitué par l'esclavage, de prendre en compte les
conséquences économiques de phénomènes sociaux, culturels et politiques
comme la discrimination, découlant directement de l'esclavage :

* Sous-rémunération des Afro-Américains à travail égal, un phénomène
constant depuis l'abolotion de l'esclavage
* Exclusion des emplois les plus rémunérateurs. DODSON prend
l'exemple de la NBA (Championnat états-unien de Basket), où les joueurs
blancs, pourtant minoritaires, sont pratiquement les seuls à faire
ensuite carrière comme entraîneurs, alors que rien ne prouve qu'ils
soient plus qualifiés pour cela que leurs confrères noirs.
* Difficulté d'accès des Afro-Américains aux financements pour la
création ou le développement d'entreprises...

Les propositions de plusieurs mouvements afro-américains pour les
réparations tournent autour de la constitution d'une Banque de
Réparation, ayant pour objectifs de garantir à chaque Afro-Américain un
accès à un fonds de capital-risque pour développer des entreprises, ou à
des financements pour construire ou acquérir un logement. Il s'agit
également d'assurer à tous les enfants Afro-Américains un accès gratuit
à la santé et à l'éducation jusqu'à l'âge de 20 ans. Selon Howard
DODSON, les Etats-Unis disposent largement des ressources pour ce faire
(et même d'ailleurs pour garantir de telles chances à tous les enfants
du pays).

- VII - David COMMISIONG : Barbade et le panafricanisme

Le panafricanisme de David COMMISIONG a été remarqué par les
participants avant même sa première prise de parole. Il portait en effet
un superbe boubou, combinant lors de son intervention les effets visuels
et la clarté du propos !

Il y a quatre ans, le gouvernement de Barbade a lancé une consultation
nationale pour réformer la constitution du pays. Diverses organisations
panafricanistes se sont réunies à cette occasion pour proposer que soit
ajoutée à la loi fondamentale une déclaration selon laquelle l'esclavage
et la Traite sont dénoncés comme crimes contre l'humanité, et ouvrent
droit à une réparation pour les victimes de ces faits et leurs
descendants. En 1998, la Commission des Affaires Panafricaines, dont
David COMMISIONG est Président, a été créée. Son rôle est d'assister le
gouvernement sur les questions ayant trait à la réparation, et de
travailler en partenariat avec des institutions internationales comme
l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA). Les différentes initiatives
en cours au niveau international ont été évoquées.

David COMMISIONG a mis l'accent sur le fait que la question de la
réparation des crimes que constituent la traite et l'esclavage ne
concernent pas que les Etats dont la population est essentiellement
noire. Les diasporas noires vivant dans des pays où elles sont
minoritaires doivent également se mobiliser et faire pression sur leurs
gouvernements.

L'objectif ultime que l'on peut fixer à la réparation est de restaurer
le continent africain dans ce qu'il aurait pu être s'il n'avait pas été
victime de ces crimes, et de restaurer les populations de la diaspora
pour les libérer des stigmates des traumatismes subis. Une telle
campagne, selon David COMMISIONG, doit être panafricaine et globale, et
avoir pour objectif ultime un rééquilibrage, l'instauration d'un nouvel
ordre mondial.

- VIII - Christiane TAUBIRA-DELANON : L'Histoire, au delà de la
science, est une passion !

Présidente de séance pour l'après-midi, la députée de la Guyane a
commencé par relater les péripéties qui ont abouti au vote par
l'Assemblée Nationale d'un texte dont elle a pris l'initiative, et selon
lequel la République Française condamne l'esclavage et la traite
transatlantique et dans l'Océan Indien comme crimes contre l'humanité.
Le fait que des dispositions réglementaires, comme l'insertion de cette
période de l'histoire dans les programmes scolaires, fassent partie de
cette loi malgré l'opposition initiale du gouvernement, a été expliqué
de façon vivante et détaillée.

Après les interventions de Howard DODSON et David COMMISSIONG,
Christiane TAUBIRA-DELANON a repris la parole pour faire une brève
synthèse des interventions, avant de lancer le débat avec l'assistance.

Si l'intérêt des participants pour le thème traité s'est traduit par un
échange d'une grande richesse entre la salle et les intervenants
étrangers, les deux interventions qui ont nettement tranché dans le
débat ont été celle de Garcin MALSA, venu articuler réparation et
redistribution des terres en Martinique, c'est-à-dire son cheval de
bataille politique du moment, et celle d'Edouard DELEPINE, venu faire la
promotion de son dernier ouvrage sue l'abolition de l'esclavage. On peut
regretter que ces personnalités éminentes n'aient fait qu'un passage
bref et assez intéressé dans une manifestation de ce niveau, et ne
soient pas réellement venus pour écouter et échanger avec les invités
étrangers.

Le temps 'chaud' du Colloque a indiscutablement été le débat entre
Edouard DELEPINE et Christiane TAUBIRA-DELANON. Edouard DELEPINE ayant
critiqué le fait que Christiane TAUBIRA-DELANON se soit beaucoup appuyée
sur le folklore oral guyanais pour mener ses études historiques, alors
que lui préfère travailler à partir de documents, la députée de la
Guyane, reconnaissant qu'elle n'est pas historienne de formation (elle
est en effet économiste), a cependant mis en avant la nécessité
impérative de critiquer les sources, de les replacer dans leur contexte
et de prendre en compte les partis-pris et les motivations de leurs
auteurs. Elle a ensuite longuement argumenté sur la façon dont elle
perçoit une démarche historique purement documentaire et ce qu'une telle
démarche, selon elle, recèle comme inféodation à l'Histoire telle
qu'elle est écrite par les oppresseurs.

Fondamentalement, les deux personnalités ont offert aux participants un
aperçu de la vive controverse qui les oppose sur la question de savoir
si oui ou non l'esclavage est un crime contre l'humanité, si oui ou non
il convient de comparer la Traite et la Shoah, etc. La puissance et la
passion de l'argumentation de Christiane TAUBIRA-DELANON, qui a fait
honneur à la réputation qui fait d'elle une des grandes voix de
l'Assemblée Nationale, ont ravi un public acquis d'avance à sa cause.

- IX - Aldiouma SISSOKHO : L'esclavage aujourd'hui en Mauritanie

Aldiouma SISSOKHO a eu de grandes difficultés pour participer au
colloque, notamment à cause de problèmes de visa qui ont fait qu'il
n'est arrivé que vers 18 heures. Ceux, nombreux, qui avaient décidé de
rester jusqu'à la fin des débats, ont en tout cas bénéficié d'une
intervention de haut niveau, à la fois pleine d'intelligence et chargée
d'émotion.

La situation de la Mauritanie à l'heure actuelle se caractérise par la
coexistence de deux groupes, les Maures et les populations noires
(Peuls, Toucouleurs, Sarakolés ; Soninkés...). Le phénomène de
l'esclavage se traduit aujourd'hui par le fait que des enfants noirs
sont enlevés sur les marchés, à la sortie des écoles... pour être mis en
esclavage dans le Nord du pays, et même à l'étranger. On a ainsi
intercepté des trafiquants d'enfants qui se préparaient à rejoindre
l'Arabie Saoudite. Les esclaves, mal nourris, mal logés, sont considérés
comme de simples meubles, à tel point qu'on peut les louer pour des
tâches ponctuelles, et que rien n'est fait pour assurer leur protection.

Le problème de l'esclavage en Mauritanie, tel que l'a présenté Aldiouma
SISSOKHO est fondamentalement un problème de droits civiques : les
esclaves sont des femmes et des hommes qui n'ont pas d'état-civil, pas
de papiers d'identité, pas de personnalité juridique. Même si la
Constitution mauritanienne protège en théorie tous les citoyens et leur
garantit des droits de haut niveau, la pratique institutionnelle va à
l'encontre de cela. Il est par exemple fréquent qu'un esclave enfui soit
ramené à son 'propriétaire' par les forces de police.

Le phénomène d'esclavage contemporain que connaît la Mauritanie, et que
l'on retrouve d'ailleurs également au Soudan, est relativement bien
connu des instances concernées. Au niveau international, des
organisations comme Human Rights Watch ou Amnesty International ont
documenté ces pratiques de manière extensive, mais se heurtent au refus
des autorités mauritaniennes de prendre des mesures contre elles. Au
niveau de l'Organisation de l'Unité Africaine, aucune sanction n'a été
prise à ce jour, dans la mesure où divers Etats qui ne respectent pas
les Droits Humains se 'couvrent' les uns les autres lors des votes sur
ces thèmes. Le plus cocasse (ou tragique, on choisira), est que
l'esclavage a été aboli en Mauritanie à trois reprises : en 1905, sous
la colonisation française, en 1961, au moment de l'indépendance, et en
1980.

Aldiouma SISSOKHO a quelque peu rassuré son auditoire en disant qu'il
n'était pas seul dans son combat contre l'esclavage. Il en appelle à la
pression internationale et aux actions de mobilisation de la population
pour appuyer les actions que de nombreux militants mènent dans la
clandestinité.

Le problème de cet esclavage contemporain relève, en dernier ressort,
d'une problématique de développement. Ce n'est qu'en fournissant à la
population une meilleure éducation et en développant le tissus
économique pour permettre à chacun d'occuper un emploi et d'en vivre, on
pourra mettre fin à l'esclavage.

Un colloque qui a plus que tenu ses promesses

Les applaudissements nourris qui ont marqué la fin de la journée et qui
ont été destinés aussi bien aux intervenants qu'à l'équipe de Médecins
du Monde Antilles, organisatrice talentueuse, et qu'aux interprètes,
soumises à rude épreuve par le débit et la passion des échanges, ont
marqué la satisfaction de tous ceux qui avaient décidé de consacrer une
journée pour en apprendre plus sur un thème qui se révèle fondamental
quand on aborde la question du développement de nos peuples.

Si des regrets peuvent être formulés, c'est peut-être quant à la faible
participation des élites politiques, puisque le discours de clôture du
Président Claude LISE a été annulé, tout comme la présence au début du
Président Alfred MARIE-JEANNE. En ne faisant qu'un bref passage pour
leur prise de parole, les autres politiques ont profité d'une tribune
attentive, sans donner en retour l'écoute que cherchent à susciter les
membres du Comité Devoir de Mémoire et leurs amis. Ces derniers savent
déjà, de toutes façons, que leur travail de communication et de
sensibilisation réclamera encore beaucoup d'efforts, des efforts qu'ils
sont disposés à faire sans compter, ils l'ont amplement démontré.

Ce compte rendu établi par Alfred LARGANGE a été publié en Mai 1999 dans
les colonnes de l'hebdomadaire ANTILLA

© Bwabrilé, 17 août 2005.

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