BUENA VISTA SOCIAL CLUB

BUENA VISTA SOCIAL CLUB
Mis en ligne le 19 avril 2005.

BUENA VISTA SOCIAL CLUB Un film de Wim WENDERS - 1999

Vous n'avez jamais entendu une chanson d'amour comme celle-la. Une
mélodie simple et élégante, des mots chuchotés, pudiques, qui parlent de
fleurs éclatantes et fragiles, d'amoureux tristes et nostalgiques. Ces
mots, les deux chanteurs les caressent avec une infinie douceur, une
retenue presque timide, sous laquelle vibre la passion. Ils se
regardent, complices, par dessus les micros sophistiqués, lui, le regard
pétillant, elle modulant les notes du bout des doigts, un oeil sur son
petit cahier d'écolier où les paroles sont calligraphiées avec soin.
Vous n'avez jamais entendu chanter l'amour ainsi.

Parce qu'il faut avoir été jeune très longtemps, et amoureux souvent,
pour comprendre ce que peuvent ressentir deux gardénias quand celui qui
les offre a le coeur trop lourd d'un amour repoussé, ou interdit. Ils
ont passé depuis longtemps l'âge de ceux que les multinationales du
disque projettent sur le devant de la scène pour mettre nos rêves en
musique et nos fantasmes au hit parade. Ibrahim FERRER et Omara
PORTUONDO ont eu leur heure de gloire, il y a longtemps, dans les nights
clubs de La Havane d'avant Castro, où les touristes états-uniens
venaient s'enivrer de rhum, de filles faciles et de musique exotique.
Peut-être ont-ils rêvé de Broadway, de Hollywood, de comédies musicales
et de boulevards illuminés de néons mulicolores. L'Histoire, le destin,
comme vous voudrez, en ont décidé autrement. Leurs vies ont continué où
la musique a eu, par la force des choses, de moins en moins de place.

Aujourd'hui, par la grâce d'une caméra qui arrive encore à
s'émerveiller, dans les rues d'une ville qu'ont silloné tant de
reporters à la recherche des chroniques d'une déchéance annoncée,
Ibrahim FERRER et Omara PORTUONDO offrent au monde entier le cadeau de
leur sensibilité intacte, de leurs voix d'artistes patinées par le
temps, nostalgiques mais jamais surranées.

Il y aurait beaucoup à dire sur les multinationales du disque qui
exploitent sans vergogne le filon des "musiques du monde" et produisent,
le temps d'un "coup" médiatique, des artistes des quatre coins du monde.
Rien de tout cela ici. La démarche de Ry et Joaquim COODER , le père
guitariste et le fils percussionniste, passionnés de musique cubaine,
est empreinte de trop de respect et d'évidente humilité pour donner
prise à la critique. Et il faut les remercier d'avoir en plus pensé à
demander à Wim WENDERS de les accompagner dans leur quête des trésors
vivants de la musique cubaine.

Trésor vivant, Compay SEGUNDO , vieux play boy sublime de 92 ans, qui
maîtrise à la perfection l'art de porter le panama, celui de fumer le
cigare, et celui de composer des bouillons de cou de poulet, remèdes
souverains contre la gueule de bois. Qu'il commence, maintenant, une
carrière de tournées internationales, charmant les publics du monde
entier du son de sa voix chaude et profonde, tient du miracle. Miracle
encore quand Ruben GONZALEZ, le pianiste oublié, fait se trémousser en
cadence les petits rats des Ballets de Cuba en retrouvant les mélodies
de sa jeunesse sur un piano, lui qui n'avait pas touché de clavier
depuis plus de dix ans. "Buena Vista Social Club" nous réserve ainsi
plusieurs moments de grâce, et l'on ne sait ce qui nous saisit le plus,
de la séduction d'une musique vivante et envoûtante, ou de la nostalgie
anticipée que nous souffle l'idée que les voix de ces artistes nous
parviennent peu avant qu'elles ne se taisent à jamais.

Il y a aussi, dans ce film, des moments magiques, comme celui où les
chanteurs, en concert au Carnegie Hall de New York, font applaudir le
drapeau cubain par une foule en délire. En plus d'adoucir les moeurs, la
musique, certains soirs, sait faire taire la politique. "Buena Vista
Social Club" nous invite à partager quelques fragments de vie, telle
l'image de ce jeune Cubain de 70 ans, Ibrahim FERRER, découvrant les
lumières de New York et envisageant d'apprendre quelques mots d'Anglais
pour se débrouiller dans la Grosse Pomme. Dernière image, peut-être, ce
long travelling un peu endormi sur les murs de La Havane ornés de
slogans volontaristes et un peu creux. Sauf un. "Creemos en suenos".
Nous croyons aux rêves.

© Bwabrilé, 19 avril 2005.

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