BELOVED
Mis en ligne le 19 avril 2005.
BELOVED Film de Jonathan DEMME (1999)
De la mémoire et autres démons...
BELOVED, de Jonathan Demme (Le Silence des Agneaux, Philadelphia) est un
film qui tranche dans la production américaine classique, par son
exigence et son absence de compromis dans le désir de faire voir ce qu'a
été le traumatisme de l'esclavage. Mais c'est en même temps, un film
formidablement américain, au meilleur sens du terme, dans ce qu'il
raconte du pouvoir libérateur de la volonté humaine.
Une genèse difficile
La genèse du film est à elle seule une histoire édifiante. Porté par
Oprah Winfrey, productrice et présentatrice vedette de la télévision
américaine, touchée au plus profond d'elle-même par la lecture du roman
de Toni Morrison, il n'a pu être réalisé qu'après un travail
considérable de conviction des investisseurs du monde des médias. Il
faudra en effet dix longues années à Oprah Winfrey pour réunir les
fonds, superviser l'écriture du scénario (brillante) et trouver un
réalisateur décidé à tenter cette expérience par certains aspects
extrême : une plongée dans le traumatisme fondateur de la société
américaine, tant il est vrai que l'esclavage, le racisme et le rapport
Blancs/Noirs sont des éléments fondateurs de l'identité américaine (Toni
Morrison en fait la démonstration dans son essai 'Playing in the Dark',
qui analyse l'utilisation des personnages noirs et le thème de la
noirceur dans des romans écrits par les principaux auteurs blancs des
Etats-Unis).
Une réflexion nécessaire sur la mémoire
Beloved est un film sur le thème de la mémoire qui ne peut que nous
interpeler alors que la Martinique cède à une frénésie de commémorations
dans lesquelles personnages et événements du passés sont convoqués sur
la place publique, moins pour être honorés que pour être sommés de
s'exprimer sur les sujets brûlants d'aujourd'hui, lesquels, après
analyse, ressortissent à la difficulté de bâtir un projet commun, de
dessiner un avenir, de s'affirmer tout simplement comme un peuple pris
de vertige à l'aube d'un nouveau millénaire.
L'amour , la mémoire, et autres démons
Beloved, c'est l'histoire d'une femme, Sethe, qui a été au delà
d'elle-même pour conquérir sa liberté et celle de ces enfants, et au
delà de l'humain pour protéger ce qu'elle a conquis. L'histoire d'une
femme qui, au sortir de l'esclavage, n'en revient pas d'entendre ses
enfants pris de fou-rire, et qui, cernée, va jusqu'à leur trancher les
veines, préférant leur silence éternel à leur retour en esclavage.
C'est l'histoire d'une femme qui a été au delà de ce que la société peut
accepter, qui a décidé qu'elle ne fera pas un pas de plus et qui accepte
donc de vivre dans une maison hantée par le fantôme turbulant de
l'enfant qu'elle a sacrifiée, hantée par la mémoire inapaisée d'un
traumatisme inconcevable.
C'est l'histoire de l'amour que lui porte un homme, Paul D, qui a connu
Sethe sur la plantation de leurs origines et est venue la retrouver pour
bâtir avec elle, si c'est possible, une nouvelle vie. C'est l'histoire
d'un amour assez fort pour chasser les fantômes, et qui pousse l'enfant
mort à s'incarner dans une jeune femme étrange et attachante, Beloved,
qui fera tout pour isoler Sethe des siens, afin de la torturer à son
aise.
Beloved est donc un film sur l'amour et sur la mémoire, sur leur
puissance de destruction ou de guérison, sur le pouvoir de dire
'demain', sur le désir de dire 'ensemble', sur l'équilibre que chacun
doit trouver entre le souvenir de ce que l'on a enduré et les projets
que l'on forme pour l'avenir.
La voix de Jenny ALPHA
Beloved est un film formidable par la grâce de ses acteurs. Oprah
Winfrey, à mille lieues du glamour des plateaux de télévisions, dans le
rôle de Sethe ; Danny Glover, magnifique dans le rôle de Paul D, un
ancien esclave qui a été vendu six fois et qui, debout au mileu d'un
parc à cochons, proclame à qui veut l'entendre qu'il veut des enfants
parce que ceux-ci seront libres et n'appartiendront qu'à eux-mêmes ;
Kimberly Elise, qui joue Denver, l'enfant de Sethe née pendant la fuite
de sa mère et qui découvre que la liberté consiste à aller vers les
autres, quelque difficile que cela puisse être au départ. Et puis, pour
ceux qui ont dû se contenter de la version française, Beloved restera
pour longtemps la voix chaleureuse et vibrante que Jenny Alpha prête à
Baby Suggs, la grand-mère qui monte sur un rocher, au milieu d'une
clairière, pour prêcher aux femmes et aux hommes qui apprivoisent leur
liberté. 'Aimez votre corps !', 'Aimez vos mains !', 'Aimez votre
coeur !', nous dit-elle, célébrant avec des mots simples l'évangile
d'une liberté à construire par l'amour de soi et des siens, et une foi
inébranlable en l'avenir.
© Bwabrilé, 19 avril 2005.
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