VIVE LE ZOUK-ACCRAS-BOUDIN !
Mis en ligne le 19 avril 2005.
Antiyé pa séryé, mé sé grenn diri ka plen sak diri
(tribune publiée en Mars 2005 dans le mensuel KANNELLE Magazine)
"Zouk, Accra, Boudin". "ZAB" pour les initiés. La communauté antillaise en France est confrontée depuis des décennies à ce stéréotype de nonchalence festive, à travers lequel nous pouvons cependant reconnaître, sans honte, les valeurs de convivialité chaleureuse qui nous unissent. Ce cliché nous agace. Nous nous le jetons nous-même à la face dans un moment de frustration, quand un projet n’avance pas et qu’une réunion de travail patine sur des points futiles. Franky et son Alice qui glisse au Pays des Merveilles nous agacent. Les Inconnus et leur "Mawi Téwèz" nous agacent. Comme si ces stéréotype d’individus nonchalants et débonnaires nous renvoyaient à nos échecs dans la construction d’une identité communautaire forte et respectée. En tant que communauté émergente, nous sommes paradoxalement peu structurés et très conscients de notre identité. Nous voulons être reconnus pour ce que nous apportons à la communauté nationale. Nous voulons être enfin respectés dans notre parcours historique et les cicatrices que nous portons encore. Pourtant, si nous voulons maîtriser un jour l’image qu’ont de nous les autres, celle qu’ils nous renvoient sous la forme de stéréotypes agaçants, il nous faut nous structurer et nous donner les moyens d’atteindre nos objectifs. Notre succès, quel qu’il sera, sera forcément collectif. Aujourd’hui, des Antillais réussissent dans le domaine des sports. Ce n’est pas par la simple vertu de leurs capacités physiques et de leur volonté. Entrainement après entrainement, ils sont encadrés et motivés par leurs clubs. Compétition après compétition, ils sont soutenus par leurs familles et leurs fans. Des Antillais réussissent aussi dans le domaine de la musique. C’est parce que nous sommes des milliers à faire corps derrière le Zouk et le Ragga, et que les premiers milliers d’exemplaires vendus pour un nouvel album peuvent décider une "major" à investir pour viser le disque d’or. Mais nous ne sommes pas que des sportifs et des amuseurs !!! Nous avons besoin pour construire notre communauté d’autres succès dans d’autres domaines. C’est peut-être à ce niveau que notre solidarité communautaire n’a pas encore donné toute sa mesure. Qu’en est-il, par exemple, de notre solidarité économique ? Les restaurants antillais, où ce n’est même pas "bon comme chez manman" sont toujours trop chers pour nous. Pas question de laisser un entrepreneur de la communauté s’enrichir sur notre dos avec un blaff de poisson pas frais et un petit bol de glace rhum-raisins ! Avez-vous remarqué que ce sont surtout les métros qui forment l’essentiel de la clientèle des restaurants antillais qui marchent ? Soutenir les entrepreneurs antillais, dans la restauration ou dans d’autres corps de métier (décoration intérieure, mécanique, etc.) serait un premier pas pour assurer à ces hommes et femmes et leurs familles une certaine stabilité économique et sociale. Sans qu’il s’agisse de préférence aveugle, un soutien décidé à un bon professionnel, un numéro de téléphone qui circule entre amis sera déjà un pas en avant. Qu’en est-il de notre solidarité citoyenne ? Ceux qui entreprennent de militer pour une cause doivent déployer une énergie considérable. Dès qu’une initiative commence à percer, les germes de la division surgissent pour la dévitaliser et peut-être la faire capoter : "Mwen pa dakò épi Mussieu !", "Manzèl konprann sé li kay koumandé mwen !", "Gwadloupéyen pa adan ankò !", "Sé Matiniké a twò asimilé !" Il semblerait que nous avons plus conscience de l’importance de nos problèmes que de la nécessité de leur solution ! D’accord pour discuter pendant des heures, des jours et des semaines, parce que cela nous permet d’exprimer et d’affirmer notre identité, en étant plus "radical" ou plus "authentique" que l’autre, mais il ne s’agit pas de nous focaliser sur nos différences, au lieu de nous mobiliser réellement pour un but commun ! Sur le front citoyen, heureusement, diverses initiatives témoignent d’un début de structuration. Un nouveau lobby interpelle les médias et les politiques sur des questions aussi importantes que la continuité territoriale et le devoir de mémoire, utilisant l’Internet et des réseaux parlementaires étoffés. La cérémonie annuelle du LANMEKANNFENEG, au mois de Mai, devient chaque année plus porteuse de sens. Paris ne s’est pas fait en un jour. Les réseaux qui influencent aujourd’hui les orientations des pouvoirs politiques et médiatiques n’ont pas émergé en une soirée (à quand le grand dîner annuel des associations représentatives de la comunauté afro-antillaise, auquel seraient conviés les membres du gouvernement ?) Pasyans bèl, lavi long. Il ne faut pas passer sous silence le fait que depuis des décennies, des associations antillo-guyanaises réalisent un véritable travail de fond et oeuvrent à notre promotion en plus de créer de la convivialité. "Soirées Zouk, Accras, Boudin ?" Oui, certainement. Mé si i bon, di i bon ! Il faut reconnaître dans ces petits moments apparemment futiles, de petites victoires sur la déprime de l’exil des premières générations. De petites victoires pour mieux préparer celles, plus importantes, de notre avenir.
Alfred LARGANGE
© Bwabrilé, 19 avril 2005.
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