Toni MORRISON

Toni MORRISON
Mis en ligne le 31 juillet 2005.

Je me rappelle de ma réaction à la nouvelle du Prix Nobel de Littérature attribué à Toni MORRISON en 1993 : "Toni MORRISON, oui, bien sûr !" Il me fallu alors quelques minutes pour que je me rende compte qu’il s’agissait tout de même de la plus grande consécration qu’un auteur puisse espérer de son vivant.

Mon adoration pour Toni MORRISON date de 1992, en Côte d’Ivoire. J’avais commencé la lecture de Tar Baby (1981) et avais été séduit par le ton original de ce livre, oscillant entre soap opera et analyse psychologique. Le récit confrontait un couple de riches Américains vivant dans une magnifique villa perchée sur les hauteurs de l’Isle des Chevaliers, une île imaginaire et francophone de la Caraïbe (drôle d’idée).

L’Isle des Chevaliers, puis New York, fournissaient le cadre de l’idylle d’une jeune mannequin noire, nièce des domestiques du couple sus-mentionné avec un mystérieux naufragé au passé trouble.

Dans le folklore afro-américain, "Tar Baby" est le titre d’une des aventures de Breer Rabbit, le lapin facétieux, qui est piégé par un mannequin couvert de goudron collant. J’ai donc été piégé par Tar Baby.

Ma lecture suivante fut Beloved (1987), un récit poignant de la sortie de l’esclavage aux Etats-Unis, dont la puissance d’évocation me fascina. Je n’imaginais pas alors qu’un film magnifique serait tiré de ce roman quelques années plus tard, conservant presque intacte la force de l oeuvre initiale.

Au cours des années suivante, je me suis fait un point d’honneur de lire tous les romans de Toni MORRISON :

- Sula (1973), évocation de l’amitié entre deux femmes, et exploration des silences féminins, meublés par le souvenir amer des serments de l’enfance, m’a fasciné, sans que je ne comprenne réellement son propos. Des années plus tard, une conversation avec une femme qui évoquait elle aussi une amitié fusionnelle brisée sans raison apparente me rappela cette lecture, sans me donner plus d’indices.

- The Bluest Eye (1970), récit déchirant d’une enface violée, peut-être inspirée par des souvenirs d’enfance de l’auteure, qui q gandi à Lorrain, Ohio, dans un cadre proche de celui où se déroule l’action (c’est le premier roman de Toni MORRISON), m’a stupéfait par la calme et méticuleuse description de la douleur causée par le racisme et le manque d’amour de soi.

- The Song of Solomon (1977), parcours d’un jeune homme à la recherche de ses racines et de son identité, du confort de la classe moyenne au milieu rural qui garde encore la marque des années sombres de l’esclavage, et le souvenir d’un ancêtre africain mythique, m’a plu à cause de sa puissance d’évocation, et aussi à cause d’un humour innattendu pointant son nez au détour des dialogues les plus banals.

- Ma lecture de Jazz (1992)a été accompagnée du tendre souvenir d’Harlem sous la neige, découvert en Janvier 1993. Ce que signifie la musique et le fait de se retrouver ensemble pour invoquer l’ambiance du Vieux Sud pour les millions d’Afro-Américains qui ont migré vers les centres urbains du Nord industriel au début du XXème siècle, c’est ce que m’a apporté Jazz. Ca et aussi des crises de fou-rire répétées à cause des "Blues Trompets"("She will know more about blues than any trumpet when her mama knows about this !" s’exclame quelqu’un dans la foule après qu’une adloescente à perdu le landeau contenant son petit frère, `qu’elle avait laissé sur le trottoir devant le magasin de disque où elle était entrer acheter le disque des "Blues Trumpets"). Jazz a été le premier roman de Toni MORRISON que j’ai acheté dès sa parution en France en 1993, me précipitant chez BRENTANO’S pour trouver la version originale, alors que la presse magazine s’extasiait sur la traduction française.

- J’ai un peu attendu avant de lire Paradise (1998). Plutôt que de l’acheter en hard cover à Miami ou j’étais de passage en Juillet 1998, j’ai attendu d’avoir du temps pour lire ce roman en paper back. Pendant ces quelques deux ou tros années, la simple pensée qu’il me restait encore un roman de Toni MORRISON me suffisait. Et je n’ai guère été déçu. La saga d’une communauté d’Afro-Américains rejetés par les autres, qui font de leur pureté raciale le prétexte à l’établissement d’une communauté presque totalitaire, dont le destin croise celui de femmes naufragées de la vie dans un ancien couvent, est selon moi un des sommets de l’oeuvre de Toni MORRISON.

- Avec Love (2003), j’ai fait fort. Toni MORRISON était venue en France pour présenter son roman, dont la traduction venait de sortir. J’ai raté sa conférence à la Sorbonne, mais elle devait aussi dédicacer son dernier roman au Virgin Megastore des Champs Elysées.

Je lui ai tendu mon exemplaire (en hard cover, cette fois). Et puis je lui ai demandé d’où lui était venu cette "Isle des Chevaliers" qui m’avait intrigué lors de ma première lecture !

Non seulement Toni MORRISON est une TRES belle femme, mais son rire est encore plus séduisant. "I guess it came from somewhere !" répondit-elle d’abord, surprise par une question aussi précise et innattendue.

Toni MORRISON a souvent séjourné dans la Caraïbe au cours des années 70 et 80. Elle se rappellait de la Martinique les regards que les habitants échangent avec les touristes. Un regard empreint de curiosité et de défiance, ne s’embarassant d’aucune séduction, comme dans d’autres îles où le tourisme est question de survie économique.

J’ai mobilisé mon meilleur Anglais pour expliquer ce regard : "We do not really like tourists. We like people". C’est peut être cette authenticité des relations humaines, qui désole les multinationales du tourisme pré-formaté, qui a frappé Toni MORRISON en Martinique. Au point d’inventer une petite île imaginaire servant de cadre à une exploration sereine de l’âme humaine.

Toni MORRISON en bref

Toni MORRISON est née le 18 Février 1931 à Lorain, petite ville de l’Ohio (Nord des Etats-Unis), dans un foyer de condition modeste. Son père, soudeur, lui raconta dans son enfance les contes traditionnels de la communauté Afro-Américaine, dont la structuration influence certains de ses romans (utilisation de comptines, etc). Ses romans sont basés sur l’expérience Afro-Américaine, de l’esclavage à la période contemporaine, évoquqnt la grande migration du Sud agraire vers le Nord Industrialisé et la transformation des mentalités et comportements (relations familiales et sociales, culture, sexualité, etc).

Son roman Beloved a reçu en 1987 le Pulitzer Prize for Fiction, plus grande distinction littéraire des Etats-unis, puis a été adapté au cinéma à l’initiative d’Oprah WINFREY.

De son vrain nom Chloe Anthony, née WOFFORD, Toni MORRISON est diplômée des universités de HOWARD University (Bachelor i English en 1953) et de CORNELL (Master of Arts en 1955).

Sa carrière professionnelle a mêlé enseignement et édition. Au sein de l’éditeur Random House, Toni MORRISON a permis l’émergence d’auteurs Afro-américains comme Toni CADE BAMBARA et Gayle JONES.

Son dernier Roman, intitulé Love (2003) revient sur le thème des amités féminines (cettefois transformée en haine inextinguible, dont les racines sont exposées au fur et à mesure) et des relations familiales, dans le cadre d’une station balnéaire réservée aux Afro-Américains, et dont le déclin révèle les évolutions profondes de cette communauté et de son environnement politique et social.

Avec beaucoup d’humour, Toni MORRISON a attiré l’attention des médias états-uniens en disant en 1993 que Bill CLINTON était "presque" le premier Président Noir des Etats-Unis, puisqu’il venait d’un foyer monoparental, était né pauvre, jouaient "presque décemment" du saxophone et aimait particulièrement la junk food et les hamburgers de MacDonalds...

© Bwabrilé, 31 juillet 2005.

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